La qualité de l’air intéresse-t-elle vraiment le gouvernement français ? Alors que l’exposition aux particules prive en moyenne chaque européen de 8,6 mois de sa vie, il aura fallu attendre le 6 février 2013 et la réunion du Comité interministériel sur la qualité de l’air (CIQA) pour que le sujet soit enfin abordé par le gouvernement. «Aucune information ne filtrait sur le sujet depuis novembre», avoue José Cambou de France Nature Environnement (FNE). Autre constat, le Conseil National de l’air présidé par le député UMP de Haute Savoie, Martial Saddier, ne s’est pas réuni depuis le 27 mars 2012. Enfin, Delphine Batho sollicitée par le Bureau Environnemental Européen (EEB) et la Commission européenne pour le lancement de l’«année de l’air», a boudé ces temps forts européens. L’Europe contraint, les Etats-membres défaillent L’écart se creuse entre une réglementation européenne de plus en plus contraignante et des Etats-membres incapables de mettre en place des plans de lutte contre la pollution de l’air. Récemment, le commissaire européen à l’environnement déclarait : «Les liens que l’OMS a établi entre la pollution atmosphérique et la santé humaine confirment la nécessité d'intensifier notre politique dans ce domaine». De nouvelles limites pourraient être fixées sur les PM10, et les PM2,5, ces dernières étant devenues valeurs seuils en 2008. En fait, « depuis une quinzaine d’années nous allons vers de nouvelles demandes de dérogation de la part des Etats-membres au lieu de mettre en œuvre les obligations réglementaires existantes », explique Louise Duprez de l’EEB. Quel coût pour la France ? Lors du CIQA, Delphine Batho a évoqué une amende estimée à 11 millions d'euros, en plus d'astreintes journalières de 240.000 euros par jour, jusqu'à ce que les valeurs limites de qualité de l'air soient respectées, «soit au moins 100 millions d'euros la première année et 85 millions d'euros par la suite», selon la ministre. La Commission européenne a annoncé le 24 janvier dernier vouloir changer sa procédure en manquement. «L’objectif est à présent d’inviter instamment les Etats membres qui connaissent des problèmes persistants de qualité de l’air à prendre des mesures ambitieuses, rapides et efficaces, afin que la période d’infraction soit la plus courte possible», écrit la Commission. Jusqu’à présent les décisions prises par la Cour européennes de justice ne portaient que sur des faits passés, ce qui n’incitait guère les Etats membres à prendre des mesures contre les futurs dépassements. «Il n’est pas improbable que la France soit condamnées à verser plusieurs centaines de millions d’euros, plus des astreintes journalières», explique Sébastien Vray, président de l’association Respire. Les 5 priorités du plan d’urgence pour la qualité de l’air | Priorité 1 : Favoriser le développement de toutes les formes de transport de mobilité propres par des mesures incitatives. Priorité 2 : réguler le flux de véhicules dans les zones particulièrement affectées par la pollution atmosphérique. Priorité 3 : réduire les émissions des installations de combustion industrielles et individuelles. Priorité 4 : promouvoir fiscalement les véhicules et les solutions de mobilité plus vertueux en termes de qualité de l’air. Priorité 5 : informer et sensibiliser nos concitoyens aux enjeux de la qualité de l’air | Le plan d’urgence du CIQA : mesures ou mesurettes ? Finies, les zones d'action prioritaires pour l'air (ZAPA) imaginées par le gouvernement précédent : elles sont jugées «socialement injustes et écologiquement inefficaces» par la ministre de l’Ecologie, qui a acté lors du Comité du 6 février «l’échec du dispositif». Dans son plan d’urgence en 38 points, Delphine Batho parle désormais de «repenser les moyens de transport existants, les politiques de mobilité et les moyens de chauffage domestique» et sonne le grand retour des Plans de protections de l’atmosphère (PPA) lancés par Corinne Lepage en 1996, avec sa loi sur l’air. Le ministère de l’écologie souhaite «que toutes les zones actuellement soumises au contentieux européen sur les particules PM10 disposent d’un PPA validé d’ici l’automne 2013». A ce jour, 12 PPA sont en cours de réalisation et 2 ont été adoptés (Vallée de l’Arve et Bordeaux). Les autres ont des états d’avancement divers. La taxe sur le diesel renvoyé à la commission sur la fiscalité écologique Sur la question ultra-sensible d'une hausse des taxes sur le diesel, René Dutrey, élu EELV au Conseil de Paris et présent au CIQA a pu constater pendant la réunion «un front commun des collectivités contre le diesel». Il faut dire qu’il fait beaucoup parler de lui depuis que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'OMS a classé, en juin 2012, les particules diesel parmi les «cancérogènes certains pour l’homme». La ministre a néanmoins renvoyé le sujet aux résultats des travaux de la commission pour la fiscalité écologique, soit à la fin du 1er semestre 2013. « Cette idée fait son chemin, a-t-elle reconnu, tout en rappelant que le débat n'était « pas tranché ». Une étude va être lancée pour permettre une identification des véhicules les plus vertueux, globalement les plus récents, qui seront autorisés en cas de pic de pollution, a expliqué Delphine Batho. Serait-ce alors le grand retour de la pastille verte lancée en 1998 par le gouvernement Jospin ? Pas tout à fait. « Des techniques plus modernes existent, a précisé la ministre. Dès le mois de juin, nous allons préciser les technologies d’identification des véhicules les moins polluants, comme les badges ou la RFID». Autre mesure permettant d’anticiper les pics de pollution, les restrictions de circulation ne seront plus appliquées en cas de pics de pollution avérés mais dès leur prévision. Elus divisés Si René Dutrey salue enfin «la montée en puissance des solutions alternatives dans ce plan d’urgence», avec l’incitation au covoiturage, le développement des véhicules électriques en ville, mais aussi des initiatives pour réduire les émissions industrielles, le président de Plaine Commune, Patrick Braouezec, reste pour sa part très critique. « Ce plan semble être plus une réponse aux injonctions de l’Union Européenne face au non-respect de la France sur les seuils de qualité de l’air, sans être à la hauteur de l’enjeu sanitaire», conclut l’ancien maire communiste de Saint-Denis. |