Le site du stockage des déchets du Grand Paris est une ancienne carrière, située à Mauny (Seine-Maritime), à l’ouest de Rouen. (©AF/76actu)
Par Valentin Lebossé
Publié le 9 Mai 22 à 17:07 mis à jour le 9 Mai 22 à 17:46
C’est un incident qui en dit long sur la tension qui règne autour d’un projet d’enfouissement de déchets inertes, dans une ancienne carrière située aux confins des communes de Mauny et Bardouville (Seine-Maritime), à l’ouest de Rouen. Jeudi 5 mai 2022, les gendarmes ont dû intervenir pour séparer des habitants, à deux doigts d’en venir aux mains.
Près de 400 000 m³ de gravats
« On était en train de faire un reportage avec une équipe de TF1, resitue Nathalie Haubert, présidente des Pieds dans l’eau, association qui s’oppose à ce projet de stockage. Le journaliste m’a demandé de lui faire voir où se trouve le nœud du problème. »
Direction le hameau de Beaulieu où à quelques encablures de celui-ci, un terrain situé dans la commune de Mauny pourrait accueillir près de 400 000 m³ de gravats issus des travaux du Grand Paris. « Nous y étions avec le maire de Bardouville (lui aussi s’étant prononcé contre le projet, NDLR) et quelques membres de l’association. Nous avons fait attention à ne pas pénétrer sur la propriété. »
Une version contestée par Jean Lefebvre à qui appartient la carrière : « J’ai vu 12 ou 13 personnes sur mon terrain. Je ne pouvais même plus sortir de chez moi ! » Le septuagénaire se dit déjà lié par une convention avec la Société Environnement et Minéraux (SEM), l’entreprise en charge du réaménagement. Un engagement qu’il ne pourrait rompre qu’en s’acquittant de coûteuses pénalités.
Également interrogé, Dominique Rousseau, le maire de Bardouville, admet que « les gens se sont baladés moitié sur le trottoir, moitié chez M. Lefebvre ». Tout en faisant remarquer qu’« il n’y a pas de barrière, rien qui matérialise une défense d’entrer. De plus, il doit respecter le droit de passage vers une autre propriété desservie par ce chemin ».
« C’est parti en cacahuète »
« J’ai voulu les faire sortir de chez moi », reprend le propriétaire. Après l’avoir interviewé, le journaliste de TF1 interroge Nathalie Haubert. « M. Lefebvre se tenait derrière moi de manière oppressante, décrit cette habitante de Bardouville. Je lui ai lancé : ‘Reculez, vous me faites de l’ombre !’ C’est là que c’est parti en cacahuète. »
La présidente des Pieds dans l’eau raconte avoir été « menacée, insultée, poussée » par Jean Lefebvre – « il a voulu me mettre un coup de poing ». Ce dernier réfute : « Je l’ai poussée avec ma main comme elle m’a poussé avec la sienne. Je ne l’ai pas frappée. »
Dominique Rousseau évoque, lui, « des échauffourées qui ont duré 30 secondes ». C’est lui qui a demandé l’intervention des gendarmes pour ramener le calme.
Des plaintes déposées ou à venir
Pour autant, cet incident ne devrait pas en rester là. Jean Lefebvre indique avoir porté plainte pour intrusion sur sa propriété, ce que confirme le maire de Bardouville. Du côté des membres des Pieds dans l’eau, « nous sommes trois à devoir aller porter plainte » pour les violences dont ils accusent le septuagénaire, précisait vendredi 6 mai Nathalie Haubert.
Le propriétaire de la carrière a néanmoins été invité par la présidente de l’association à s’exprimer lors d’une réunion publique organisée le soir même par le collectif Bardouville en danger. Mais l’accès lui a été refusé par Dominique Rousseau qui se justifie : « En tant que garant de la sécurité de cette manifestation, j’ai considéré que ce n’était pas opportun qu’il vienne prendre la parole. Il était tout seul, il se mettait en danger. » Une explication qui ne convainc pas Jean Lefebvre : celui-ci accuse l’édile de l’empêcher de s’exprimer devant ses administrés.
Combien de camions ?
Au cours de cette réunion, les réfractaires au projet ont répété leurs arguments contre l’enfouissement des déchets inertes. En tête de leurs préoccupations, la noria des camions qui achemineront les gravats débarqués par barge à l’appontement d’Anneville-Ambourville, jusqu’à la carrière de Mauny en traversant le village de Bardouville et le hameau de Beaulieu. Un ballet que les opposants estiment à 120 poids lourds par jour et dont ils craignent les conséquences en matière de pollution de l’air et de risque d’accident.
La SEM avance pour sa part des chiffres bien plus modestes : « Il y aura chaque jour 50 rotations de camions, soit un nombre de quatre à six camions maximum. »
Du côté de la préfecture de la Seine-Maritime, qui a autorisé ce stockage par un arrêté en date du 25 avril 2022, on assure que « le trafic de poids lourds ne dépassera pas 11 % du trafic global sur la RD64 ». Leur circulation sera « interrompu[e] les lundi, mardi, jeudi et vendredi (hors vacances scolaire) aux heures d’entrée et de sortie des écoles », ajoute l’organe d’État dans son arrêté.
La préfecture prévoyait aussi, dans son projet d’arrêté, « des mesures de retombées de poussières et de niveau sonore […] imposées à l’exploitant, qui devra prendre les mesures correctives en cas de dépassement des valeurs seuil ».
Les opposants veulent casser l’arrêté préfectoral
Autre exigence du préfet, « une traçabilité et des contrôles des matériaux issus de sites non pollués pour lesquels des analyses à chaque barge sont imposées à l’exploitant, pour éviter tout risque de pollution des eaux souterraines. Des analyses d’eau de la nappe phréatique sont imposées périodiquement pour vérifier l’absence d’impact ».
Pas de quoi convaincre les opposants. Nathalie Haubert envisage de déposer un recours contre l’arrêté préfectoral. « Nous avons deux mois pour le faire. » Le collectif Bardouville en danger a d’ailleurs lancé une levée de fonds via son site Internet pour pouvoir se payer les services d’avocats spécialisés dans le droit de l’environnement».
https://actu.fr/normandie/mauny_76419/pres-de-rouen-des-echauffourees-eclatent-sur-le-site-du-projet-de-stockage-de-dechets-du-grand-paris_50820310.html