Lundi 11 Janvier 2010
JURANÇON. Des habitants de La Chapelle-de-Rousse ne voient pas tous d'un bon oeil le stockage du gaz carbonique sous le plancher de leur maison. Ils craignent pour leur terroir
Un soleil d'hiver inonde les coteaux du jurançon, revêtus d'une légère couche de poudre blanche. Un paysage sublime, rehaussé au loin par la chaîne des Pyrénées et son fameux pic du Midi d'Ossau. C'est pour cette vue imprenable que Monique Gauthier s'est installée en 1962 avec son mari, pharmacien à Pau. Ils ont acheté un terrain et fait construire une jolie maison dont la terrasse donne sur le panorama. Puis, l'aventure du gaz à Lacq a débouché sur une plate-forme d'extraction, située pile en face de chez Monique Gauthier. « On était estomaqué mais on ne disait rien. Tout le monde travaillait dans le gaz ».
« J'aime ma terre »
L'extraction de gaz terminée, voilà, qu'en 2008, un autre projet se fait jour, celui de l'enfouissement dans la poche désormais vide, de dioxyde de carbone ou gaz carbonique (CO2). Le processus industriel pilote, porté par l'entreprise Total, inauguré aujourd'hui à Lacq par la secrétaire d'État aux technologies vertes, Valérie Létard, est un procédé novateur mais il dérange Monique et ses voisins qui ont décidé de rejoindre l'association Coteaux de Jurançon environnement. Ce n'est pas le petit bâtiment sorti de terre, qui - malgré son bardage en bois - reste une petite verrue dans le paysage qui gêne le plus la retraitée. « Ce sont les risques qui nous révoltent et puis le fait que Total crée une zone à risques en se désengageant trois ans plus tard. Qui prendra la suite en cas de problème ? ».
La Jurançonnaise redoute les secousses sismiques, fréquentes dans la région, qui pourraient occasionner « une fissure dans les tuyaux » et engendrer une « fuite de gaz » (1). Cette crainte est accompagnée d'un autre sentiment. « La colère. Elle est montée avec les mensonges. On nous dit qu'il n'y a pas de risques mais on n'en sait rien ».
Pas loin de chez elle, habite Isabelle Razavet, secrétaire de l'association Coteaux de Jurançon environnement qui a fait construire une maison en bois. Cette secrétaire bilingue travaille sur le bassin de Lacq. Elle est la fille du Clos Thou, un domaine viticole réputé sur les coteaux du jurançon. « Je suis née dans la maison de mes parents. J'aime ma terre. Ce projet est une atteinte au patrimoine . Je suis triste de voir que de telles choses peuvent se faire dans un tel cadre. Et puis, je crains pour l'image du site qui peut avoir des conséquences sur le vin. D'ailleurs, dans tous les prospectus de Total, vous verrez que le mot ' 'jurançon'' n'est jamais évoqué. On nous a dit que c'était fait exprès. C'est bien la preuve qu'il y a une atteinte ! »
« Le vin, c'est le sol à 25 % »
Jean-Bernard Larrieu, vigneron et propriétaire du Clos Lapeyre, fait également partie des opposants. « Dans le vin, trois éléments comptent : le sol, le climat, le cépage et les hommes. Le sol, il est donc au moins pour 25 % dans l'empreinte du vin ! » Le risque d'acidification à long terme des terrains est notamment redouté par le vigneron, converti à l'agriculture biologique. « Je me sens victime d'une '' Monsanto-isation''. On vit sur cette terre et on a l'impression qu'on nous pique ce qui se passe en dessous. Après moi, d'autres exploiteront. Mais si un jour, on se rend compte qu'il y a un problème, il sera trop tard. Nos enfants nous accuseront.
Enfin, plus globalement, on sait que tout ceci ne servira à rien. Les capacités enfouies sont ridicules. L'argent mis là-dedans pourrait servir à autre chose. »
Jean-Bernard Larrieu et Isabelle Razavet ont l'habitude de se réunir tous les dimanches matin chez Paulette Loustalet, la présidente de l'association, pour faire le point (2). C'était encore le cas hier à la veille de l'inauguration des installations. Paulette Loustalet est enseignante d'art plastique à la retraite, installée à La Chapelle-de-Rousse depuis 1979. « Je n'ai rien contre Total. Mon père a fait partie des premiers pétroliers de Lacq et j'ai deux frères géologues. Nous savons ce que nous devons au pétrole, je suis pleine de gratitude. Mais tout ceci c'était bien au XXe siècle. Aujourd'hui, nous reprochons à l'industriel de ne pas avoir préparé de reconversion. » Paulette ne peut pas s'empêcher de penser que Total a fait « d'énormes pressions » sur les riverains, les viticulteurs et même sur la mairie de Jurançon « qui a reçu 1,5 million d'euros en compensation du stockage de Rousse ».
« Au final, nous n'avons pas échoué du tout. Nous étions 150 au début, puis 80 mais aujourd'hui toutes les associations de défense de l'environnement sont à nos côtés (3). La première victoire, c'est que tout devait commencer en 2008 et je vous fais remarquer que sommes en 2010 ! » conclut Paulette Loustalet.
(1) Des risques impossibles selon Jacques Jacob, de l'Institut français du pétrole (lire Sud-Ouest du 2 janvier 2009). (2) L'association a déposé un recours devant le tribunal administratif de Pau contre l'arrêté d'autorisation de stockage du préfet. (3) La pétition mise en ligne a d0éjà recueilli 560 signatures.
Vendredi soir, neuf associations de défense de l'environnement ont envoyé une lettre ouverte à Jean-Louis Borloo. Elles rappellent leur opposition au projet « dangereux, coûteux et inutile ». Elles dénoncent également une série de dysfonctionnements : un exercice de sécurité qui a été « un fiasco total », des sondes sismiques « hors-service » et le compresseur situé à Lacq « en panne depuis fin décembre 2009 ».
Pour plus amples informations : http://www.sudouest.com/bearn/actualite/pau/article/831109/mil/5572048.html