Le 12 mai 2020 par Volodia Opritchnik
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Equinor
Des dirigeants de compagnies pétrolières estiment que la pandémie de Covid-19 va définitivement plafonner la demande mondiale en hydrocarbures. De quoi accélérer la transition énergétique.
L’horizon s’assombrit de plus en plus pour l’industrie pétrolière. Sous l’effet du fort ralentissement de l’économie, la demande mondiale de produits raffinés a chuté de 20% en quelques semaines. Cette baisse a fait plonger les cours du brut de 50% en un mois. Les producteurs de pétrole de schiste américains produisent désormais à perte.
Avec un passif de 9 milliards de dollars, Chesapeake Energy devrait demander la protection de la loi sur les faillites. Ce faisant, le pionnier de la fracturation hydraulique devrait suivre ses concurrents Peers Whiting Petroleum et Diamond Offshore Drilling.
Pour réduire les frais, tous les pétroliers US réduisent la cadence. La semaine passée, 270 nouveaux forages horizontaux ont été entrepris aux Etats-Unis: moitié moins en une semaine, indique le consultant Rystad Energy. Plus inquiétant, les producteurs ferment des puits de pétrole et de gaz. Selon le parapétrolier Baker Hughes, on n’a jamais compté aussi peu de puits d’hydrocarbures en exploitation outre-Atlantique depuis … 1940.
GUERRE DU PÉTROLE
Avec plus de 80.000 morts et 1 million de malades de la Covid-19, les Etats-Unis sont à la peine. Le retour à la normalité et à la reprise de la demande d’énergie n’est pas pour demain. Ni la remontée des cours du brut à un niveau qui permettrait aux compagnies américaines de couvrir leurs frais. D’autant que les Saoudiens poursuivent la guerre du pétrole qu’ils ont déclenchée à la fin de l’hiver. Dernier épisode en date, l’envoi d’une armada de 28 pétroliers géants vers le Texas pour maintenir au plus bas les cours du pétrole local (le WTI) afin d’asphyxier les pétroliers survivants. Selon Rystad Energy, la flotte saoudienne arrivera au large des côtes américaines dans les prochains jours. Elle ajoutera sa cargaison de 43 millions de barils aux 56 millions de barils qui attendent dans les soutes des pétroliers déjà au mouillage au large du Texas, de la Louisiane et de la Californie.
BAISSE DES RÉSERVES
Ce conflit sans merci entre producteurs saoudiens et américains laissera des traces. Malgré ses réserves financières considérables, l’Arabie commence à emprunter sur les marchés internationaux pour boucler ses fins de mois. La semaine dernière, Aramco a discrètement augmenté de 1,4 $ le prix de son baril vendu sur les marchés asiatiques. Cela pourrait ne pas suffire. Les réserves de devises de la banque centrale saoudienne sont tombées à moins de 464 milliards de dollars, son plus bas niveau depuis 10 ans. Les deux tiers de ces actifs servent à faire tourner l’économie locale. Pas question de les brader pour financer la guerre du pétrole, ou celle que le royaume Wahhabite mène sans succès au Yémen, sans risquer d’importants troubles économiques et sociaux. Ceux-ci ne doivent pourtant pas être exclus par Ryad.
Depuis quelques jours, Donald Trump menace ouvertement la monarchie saoudienne de représailles hors normes. La bombe atomique du président américain se nomme Nopec. Se basant sur la législation US anti trust, ce projet de loi interdit aux Etats producteurs de pétrole de s’entendre sur la production ou les prix de l’or noir. S’il était enfin adopté, le No Oil Producing and Exporting Cartels Act autoriserait le ministère de la justice américain à poursuivre les Etats et les membres de leur gouvernement pour violation de la loi anti trust. De quoi calmer quelques ardeurs.
UN PEAK OIL ACCÉLÉRÉ
Dans un tel contexte, les dirigeants des Majors pétrolières peinent à imaginer leur «monde d’après». «Je ne pense pas que nous sachions comment tout cela va se terminer», avoue le P-DG de BP, dans un entretien accordé, mardi 12 mai, au Financial Times. Une opinion partagée par Ben van Beurden, le patron de la … Shell. Pour Bernard Looney, les effets sociétaux de la pandémie de Covid-19 (développement du télétravail, baisse de la demande de transport aérien, généralisation du véhicule électrique, raccourcissement des chaînes de valeur) et la guerre du brut pourraient définitivement plafonner la consommation mondiale d’hydrocarbures. Jusqu’à présent, les compagnies pétrolières fixaient ce mythique peak-oil aux alentours de 2040.
Pareille accélération annoncerait un véritable changement de paradigme. Une baisse structurelle de la demande de brut et de gaz naturel réduirait notre empreinte carbone plus sûrement que plusieurs COP climat. Le niveau de production actuel n’est plus très éloigné du «scénario durable» établi par l’agence internationale de l’énergie (AIE), tout à fait compatible avec les objectifs fixés par l’Accord de Paris.
Economiquement, l’interprétation de ce scénario transformait une partie des réserves pétrolières de compagnies et d’Etats producteurs en actifs inutilisables, les fameux stranded assets. Moins bien dotés, pétroliers et membres de l’Opep pourraient voir progressivement se fermer les vannes des financements privés et publics. A moins, bien sûr, qu’ils n’envisagent de changer de modèles d’affaires. Ce qui n’a rien d’impossible: les pays pétroliers du Maghreb, du Machrek et du Moyen-Orient disposent des plus fabuleux gisements d’énergies solaires et de grands territoires inhabités. Deux piliers sur laquelle asseoir l’un des rares projets de diversification pérenne peu gourmand en eau: la production d’énergie solaire.
http://www.journaldelenvironnement.net/article/le-debut-de-la-fin-du-petrole,105934