Extrait article paru sur le site « Rue 89 » :
A Fos-sur-Mer, « pourquoi tout le monde meurt d'un cancer ? »
Par Sophie Verney-Caillat | Rue89 | 25/07/2010 | 21H28
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Comment vit-on dans « la zone la plus polluée de France » ? Mal. Des médecins dénoncent l'« omerta » sur la santé des habitants. ….
(De Fos-sur-Mer) Cette terre située entre Marseille et Camargue vit depuis quarante ans enserrée parmi les usines. Deux petites communes, Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône, comptant 25 000 habitants et 17 500 emplois, étouffent plus que les autres.
Pas moins de douze sites Seveso (présentant un risque d'explosion, d'émission de gaz toxiques ou d'incendie) et quelque 62 sites industriels sont recensés à proximité des habitations à l'ouest de l'étang de Berre. ….
Industries chimique, pétrochimique, métallurgique, gazière… émettent des polluants surveillés en permanence (NOx, ozone, CO2, dioxyde de soufre notamment) et d'autres mesurés occasionnellement (dioxines, benzène, métaux, hydrocarbures aromatiques, composés organiques volatils…). L'ensemble forme un cocktail aux impacts certains sur la santé des riverains, mais d'une gravité ignorée.
En l'absence de surveillance fine de ces populations, difficile d'accéder à une vérité chiffrée. L'Agence Régionale de Santé PACA reconnaît « manquer de données précises »… les associations en réclament pourtant depuis huit ans……
Pas de débat public alors que le plafond est dépassé
……
Véronique Granier-Dolot, riveraine de Rue89, salariée de la communauté de commune, m'a invitée à venir à Fos pour comprendre :
« Pourquoi tout le monde meurt d'un cancer ? Pourquoi tout le monde a de l'asthme ? Pourquoi tous les couples sont comme moi suivis pour des problèmes de fertilité ? »
« Véro » est un peu « marseillaise » dans son expression mais ses questions traversent nombre d'habitants. Comme Sandrine, secrétaire de l'association, dont la fille de 16 ans a de multiples malformations. Les médecins expliquent « en rigolant » que « ça doit être les restes de Tchernobyl » et lui conseillent d'envoyer sa fille prendre l'air ailleurs.
Pour comprendre, il faut des chiffres. Jacques Carle, bijoutier, que la multiplication des cancers chez des jeunes de son entourage a fini par affoler, a essayé de s'en procurer quand il a su que les poubelles de Marseille viendraient brûler dans son « paradis ». Il a créé un collectif Citoyen santé environnement de Port-Saint-Louis-du-Rhône et a réussi à se procurer des chiffres sur la mortalité par cancer à l'échelle des communes qui sont interdits d'utilisation faute d'accord de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil), car le territoire est trop réduit.
En comparant ces chiffres à la moyenne départementale, il trouve une surmortalité de 11,4% des décès par tumeur, à Port-Saint-Louis-du-Rhône par rapport aux Bouches-du-Rhône, sur les années 2000-2002 et de 59,7% sur la période 2003-2005. L'Autorité Régionale de Santé (ARS) s'est penchée, à ma demande pressante sur ces chiffres, mais est restée très prudente : on ne peut pas « dire si ces évolutions sont statistiquement significatives ».
Le préfet : « Les ouvriers boivent et fument… »
Premier progrès à venir : l'ARS admet manquer de données précises et annonce la mise en place d'une « surveillance exhaustive de certains cancers peu fréquents, mais susceptibles d'être en lien avec l'environnement et les expositions industrielles, en particulier les hémopathies et les cancers des voies urinaires ». …
Des maladies dont les causes ne sont pas identifiables
Pour l'instant, impossible d'établir officiellement un lien entre la pollution et les cancers, et si un jour c'était le cas, qui paiera ? Comme le résume Véronique Granier-Dolot, avec lucidité :
« Si au moins on avait un problème comme l'amiante, ce serait simple : une cause, une pathologie, un responsable… Nous, comment prouver d'où viennent nos maux ? »
Pourtant, le docteur Vincent Besin, arrivé à Port-Saint-Louis avec son épouse, généraliste elle aussi, il y a huit ans, en provenance de Grenoble, constate que les gens sont « malades de la pollution ». Simple praticien sans engagement militant, il décrit ce qu'il a vu :
« La différence d'état sanitaire nous a sauté aux yeux. Ici, les patients ne connaissent que rarement la “paix naso-pharyngée” : on crache, on tousse, on se mouche toute l'année……
Cardiologue à Vitrolles et président de l'Association santé environnement France, le docteur Pierre Souvet réclame à cors et à cris des « registres cancer spatialisés » précis autour des zones concernées. En vain…..
La qualité de l'air mauvaise près de la moitié de l'année
Pour savoir ce qu'il y a dans cet air, j'ai interrogé Airfobep, l'organisme qui surveille la qualité de l'air dans l'est des Bouches-du-Rhône. Son directeur, Jean-François Moreau, confirme que « les polluants que l'on mesure ont des impacts sur la santé », mais que ceux-ci, bien sûr, varient selon l'exposition des individus, leur âge, leurs prédispositions. Il précise ce qu'il mesure :
- Les particules en suspension : on considère qu'il ne faut pas dépasser la valeur réglementaire plus de 35 jours/an, sinon l'impact sur la santé est avéré. « Port-Saint-Louis tutoie déjà ce chiffre depuis début de l'année, et va les dépasser. »
- « C'est une des rares zones en France où on a encore des dépassements de seuil d'information pour le dioxyde de soufre. » Pour l'ozone, le seuil d'information des populations est régulièrement dépassé, comme dans tout le département.
- L'indice de la qualité de l'air est « bon » ou « très bon » entre 49% et 60% du temps, ce qui veut dire qu'il est « médiocre » à « très mauvais » entre 40% et 51% du temps.
Le directeur d'Airfobep résume :
« La spécificité de ce territoire est de cumuler sur peu d'espace tous les polluants. Des effets de ces cocktails sur la santé on ne sait pas encore grand-chose. C'est trop récent. »….
Un « Institut éco-citoyen pour la connaissance des pollutions » vient d'être créé par la communauté de communes Ouest-Provence. Son but ? « établir la paix par la science en connaissant précisément ces pollutions, dire ce qu'on sait et souligner tout ce qu'on ne sait pas », selon son directeur, Philippe Chamaret.
Notre riveraine Véronique Granier-Dolot en appelle au plus haut niveau de l'Etat :
« Sarkozy a dit en présentant son plan cancer qu'il voulait mieux connaître les risques environnementaux. Nous on est des cobayes depuis 40 ans, alors que les chercheurs viennent nous observer, on ne demande que ça ! »
Photos : vue sur les usines de la zone industrielle de Fos (Daniel Moutet), l'incinérateur de Fos-sur-Mer (Sophie Verney-Caillat/Rue89) ; plage de Fos-sur-Mer (Sophie Verney-Caillat/Rue89).
article complet : http://www.rue89.com/planete89/2010/07/13/a-fos-sur-mer-pourquoi-tout-le-monde-meurt-dun-cancer-158604