77290 | MITRY MORY | Autorisation | Non-Seveso | |
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Le 11 septembre 2013 par Marine Jobert
Santé au travail, Santé publique, Produits
Le bitume, formulé pour chaque usage, présente des composés chimiques très différents.
C’est une expertise attendue par les industriels et par tous les travailleurs du bitume, qui manient chaque jour cette pâte noire et visqueuse aux vertus multiples et aux compositions secrètes. L’expertise de l’Anses, consacrée à l’évaluation des risques sanitaires de l’utilisation professionnelle du bitume est sans appel: il existe un risque sanitaire, qu’il est difficile toutefois de quantifier.
On les voit au cul des camions remplir leur sceau de bitume fumant pour le jeter sur la chaussée nue, où des collègues armés de râteaux appliqueront la pâte visqueuse et noire d’un geste précis et rapide, avant qu’il ne se fige. Ils portent presque tous des gants, très rarement des masques. Ils sont parmi les travailleurs les plus exposés aux émanations toxiques de bitume, ces résidus de raffinage du pétrole, mélanges de composés chimiques nombreux et variés auxquels l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) vient de consacrer un rapport d’expertise collectif. Cette évaluation des risques sanitaires liés à l’utilisation professionnelle des produits bitumineux et de leurs additifs fait suite, en 2011, au classement par le centre international de recherche sur le cancer (Circ) des bitumes routiers dans la catégorie 2B -cancérogène possible- et des bitumes employés sur les toits (5% des usages) en 2A -cancérogène probable- et à la condamnation, en 2012, de la société Eurovia (groupe Vinci) pour «faute inexcusable» suite à la mort d’un ouvrier du bitume, atteint d’un cancer de la peau. Après des visites sur le terrain, des entretiens avec les parties prenantes et une analyse de la littérature scientifique sur le sujet, les experts concluent «à l’existence d’un risque sanitaire associé à une exposition aux liants bitumineux et à leurs émissions». Mais ils considèrent qu’il «n’est pas possible, l’état actuel des connaissances, de quantifier ce risque». Ils préconisent de «réduire les expositions aux émissions de liants bitumineux et d’assurer un suivi médical approprié des travailleurs».
Secret industriel
Sous le vocable de bitume, des centaines de formulations chimiques, classées confidentielles par les industriels. «L’identification et la quantification des composés présents dans les produits bitumineux sont techniquement très difficiles et ne sauraient être exhaustives», prévient l’Anses, qui a donc préféré exclure une approche substance par substance au profit d’une analyse des données disponibles dans la littérature considérant la substance bitume dans sa globalité. Les émissions générées lors de l’utilisation de ce liant –sur route ou pour l’isolation de toitures- varient grandement selon le procédé de mise en œuvre, la nature des produits utilisés ainsi que le type de travail effectué. Principales émissions: des particules en suspension dans l’air contenant des molécules organiques peu volatiles, des vapeurs contenant des molécules organiques plus volatiles et de gaz tels que le sulfure d’hydrogène. «Parmi les composés identifiés dans les bitumes et leurs émissions, certains sont classés cancérogènes par le CIRC et/ou classés comme substances cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) et/ou dangereuses par l’Union Européenne», note l’Anses.
Effets respiratoires
Premier impact, immédiat, sur l’homme: des irritations oculaires set respiratoires aigues (risques d’asthme et de broncho-pneumopathie chronique obstructive et une augmentation des marqueurs inflammatoires au niveau pulmonaire), liés à une exposition aux fumées de bitumes. Une mortalité par pathologies respiratoires a été mise en évidence. Les effets cutanés sont peu documentés, même si le contact des émissions avec la peau des travailleurs suivi d’une résorption cutanée «constitue une voie d’exposition non négligeable», d’autant que sont employées des émulsions (à 40-60°C), comprenant «des tensioactifs susceptibles d’augmenter la perméation cutanée».
Effets cancérogènes
A bien plus long terme, l’Anses note qu’«une association positive a été observée entre les expositions professionnelles aux liants bitumineux et à leurs émissions, et l’apparition de cancers du poumon et des voies aérodigestives supérieures (cavité buccale, pharynx, œsophage et larynx) chez les travailleurs lors de la pose de produits d’étanchéité ou lors de l’asphaltage». Le travail mené en 2011 par le Circ, a abouti à la réévaluation de la dangerosité du bitume, puisque la cancérogénicité aux bitumes oxydés et leurs émissions lors de la pose de produits d’étanchéité a été classée par le CIRC en catégorie 2A, cancérogène probable et que la cancérogénicité aux produits bitumineux et leurs émissions lors de la pose d’enrobés à base de bitumes routiers ou lors de l’asphaltage à base de bitumes durs ont été classées par le CIRC en catégorie 2B, cancérogène possible.
Moins chaud, plus toxique
Les pratiques évoluent, mas pas forcément dans le sens d’un mieux disant sanitaire. Exemple : si la température a un impact fort sur l’émission de fumée, la tendance générale actuelle dans l’évolution des pratiques professionnelles «est à la diminution des températures d’application des produits bitumineux», note l’Anses. Une tendance de bon aloi, mais dont les effets pourraient être contrecarrés par l’incorporation d’agents plastifiants (additifs organiques fluidifiants), le moussage, etc. pour compenser une partie des effets de cette baisse de température sur la maniabilité de la préparation. «Or, les impacts potentiels sur la composition des émissions générées et sur l’intensité de transfert percutané en cas de contact, donc sur la santé des travailleurs, ne sont pas connus», écrit l’Anses.
D’autres facteurs de risques
Evidemment, les travailleurs sont exposés à d’autres facteurs de risque et potentiellement responsables d’effets sanitaires, précisent les experts de l’Anses, comme les rayonnements UV, la co-exposition avec des particules (notamment d’émissions de moteur diesel), le contact avec des matériaux ou pièces chaudes pouvant occasionner des brûlures, la manutention de charges, la répétitivité des gestes, les postures pénibles, l’exposition aux vibrations, le lavage des mains avec des solvants dangereux (gasoil ou autres), le bruit, etc…
Raboter et recycler: activités à risques
Deux activités présentent des risques d’exposition supplémentaires: les activités de rabotage et de recyclage, effectuées sur d'anciens revêtements routiers, où l’on décèle notamment de l’amiante susceptible de libérer des fibres, de la silice, mais aussi des goudrons et leurs dérivés, des matériaux secondaires, des fluxants, des polymères, des additifs, d’anciens bitumes soufrés susceptibles d’émettre des CAP ou des COV. «Ces deux activités sont donc susceptibles d’exposer les travailleurs à des émissions potentiellement dangereuses et doivent faire l’objet d’une surveillance particulière et renforcée». D’autant plus dans une période propice aux réductions budgétaires.
Des mesures de protection
L’Anses édicte toute une série de mesures collectives -privilégier les émulsions de bitume permettant la réduction des fumées émises en travaillant «à froid» en dessous de 60°C ou substituer les produits de nettoyage des outils et/ou des mains dangereux- ou de mesures individuelles -vêtements de travail propres avec manches et jambes longues, port de visière ou lunettes, chapeau ou casque-, sans oublier de s’adresser ) la médecine du travail. Celle-ci est encouragée à assurer «une veille active sur les effets sanitaires respiratoires mais également cardiovasculaires, immunotoxiques, neurotoxiques, en lien avec une exposition des travailleurs aux liants bitumineux.» Les fabricants de produits bitumineux sont invités mettre à disposition des fiches de données de sécurité actualisées et à engager la réflexion sur les effets respiratoires. Enfin, les pouvoirs publics sont incités à «mettre en place des études épidémiologiques concernant les cancers cutanés en lien avec une exposition aux émissions de liants bitumineux», ou encore à «mettre en place des actions de recherche sur la composition et la toxicité des liants bitumineux mis en œuvre, avec le maximum de transparence de la part des professionnels afin de pouvoir évaluer l’impact sanitaire de certaines formulations (bitumes polymères, enrobés tièdes, émulsions, etc.) et des différents grades de bitumes utilisés».
3 millions de tonnes par an
L’enjeu économique du secteur n’est pas mince, puisque la consommation moyenne annuelle française de bitume est estimée à plus de 3 millions de tonnes, dont plus de 90 % sont consacrés aux applications routières (majoritairement l’entretien des voies existantes). Les 10% restants concernent les applications industrielles (activités d’étanchéité et d’isolation). Les domaines d’activités impliquant ce matériau comptent de nombreuses professions et emploient un nombre important de travailleurs.