Paru sur le site "La Marne" :
Seine-et-Marne : des résidus de pesticides retrouvés dans l'eau, faut-il s'inquiéter ?
Des résidus de chlorothalonil, un pesticide utilisé comme fongicide dans l'agriculture, ont été mesurés dans l'eau de l'usine d'Annet-sur-Marne.
Par Julia GualtieriPublié le
L’eau distribuée par l’usine d’eau potable d’Annet-sur-Marne est de bonne qualité. C’est ce que conclut le dernier rapport donné par le SMAEP, le Syndicat mixte d’alimentation en eau potable de la région de Lagny-sur-Marne (SMAEP). Ses analyses sont en tout cas 100 % conformes aux limites de qualité.
Un satisfecit qui ne convainc toutefois pas la conseillère municipale d’opposition Carole Chavanne, du Collectif écologiste et solidaire (CES). Lors du conseil municipal du 10 octobre, où le rapport annuel de l’usine était présenté, elle rappelait :
L’ANSES a démontré en avril 2023 la présence de pesticides au point de captage d’Annet. Or, ils ne figurent pas dans le rapport, car ce n’est pas obligatoire de les détecter.
Carole Chavanne conseillère municipale d’opposition
Qu’en est-il ? Et faut-il s’inquiéter ?
Des composés pas recherchés
L’usine d’Annet-sur-Marne dessert 16 communes sur trois agglomérations. En 2022, elle a délivré 4,6 millions de m3 à près de 93 209 habitants. Et comme chaque année, elle fait réaliser un contrôle de qualité par le délégataire en charge de la gestion du site, Valyo (une société de Véolia) et l’Agence régionale de santé (ARS) référente. En 2022 encore, « aucune non-conformité n’a été constatée », relève ainsi le rapport.
Toutefois, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a en effet publié en début d’année une étude pour mesurer des « composés chimiques qui ne sont pas ou peu recherchés lors des contrôles réguliers ». Elle a ainsi observé 157 pesticides et métabolites (comprenez résidus) de pesticides dont les résultats montrent « une vaste contamination aux résidus de pesticides, même des années après leur utilisation ».
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Des traces de fongicide retrouvées
En effet, on y retrouve par exemple, dans un prélèvement sur deux, du métabolite du chlorothalonil, un fongicide utilisé pendant des décennies dans le traitement de différentes cultures comme la vigne, les céréales ou la pomme de terre. Et bien que ce produit soit interdit en France depuis 2020, l’étude démontre bien sa persistance dans l’environnement. L’usine d’Annet, qui faisait partie des points de captages contrôlés, n’échappe pas au constat.
En effet, comme le confirme l’Agence régionale de santé d’Île-de-France « à chaque campagne de ce type, le captage fournissant le plus gros débit dans chaque département est obligatoirement sélectionné ». Pour la Seine-et-Marne, il s’agit de l’usine de potabilisation d’eau de la Marne d’Annet. Résultat, dans l’eau utilisée ou destinée à être utilisée pour la production d’eau à destination de la consommation humaine, le pesticide a été retrouvé à raison de 540 ng/L (soit 0,54 µg/L) « avec une valeur mesurée de 400 ng/L » en sortie usine, indique l’ARS IDF.
L’ARS veut rassurer
De quoi s’inquiéter ? Pas selon l’Agence régionale de santé qui souligne que si les valeurs retrouvées sont supérieures à la limite de qualité, elles sont « bien inférieures aux valeurs sanitaires transitoires (VST) de 3 µg/L (microgramme, NDLR.) » pour les deux types de métabolite du chlorothalonil retrouvés. À noter que le dépassement de la « limite de qualité » ne signifie pas que l’eau serait impropre à la consommation : il s’agit d’une valeur environnementale en non d’une valeur sanitaire.
Mais Carole Chavanne reste sceptique : « La valeur sanitaire transitoire est une valeur déterminée par défaut, faute de données disponibles concernant les risques pour la santé et dans l’attente d’une valeur maximale (qui s’appliquerait pour la mise en place de mesures de restriction de consommation de l’eau, NDLR.) ».
Quelle est la toxicité de ce pesticide ? Selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments, le chlorothalonil est classé comme cancérogène « supposé ». Des études sont encore en cours. En revanche, il a des effets négatifs démontrés sur les milieux aquatiques.
Appliquer un principe de précaution ?
Au titre du principe de précaution, la conseillère municipale d’opposition de Lagny-sur-Marne estime que ces mesures devraient apparaître dans le rapport et faire l’objet d’une surveillance particulière. « La Seine-et-Marne est un département très agricole. Beaucoup de champs bordent la Beuvronne qui se jette dans la Marne… en matière d’eau, tout converge. Au total, 13 pesticides ont été détectés à l’usine d’Annet. Même s’ils sont en quantité inférieure à la limite de qualité, il semblerait prudent de rester vigilant », estime-t-elle.
La conseillère prend pour exemple l’ARS des Hauts de France. Plusieurs points de captage montrent en effet une présence importante de chloridazone, un autre pesticide utilisé dans la culture de la betterave et désormais interdit, parfois supérieur à la valeur sanitaire transitoire. Et bien que l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ait écarté un risque pour la santé humaine, l’ARS a placé des communes sous surveillance renforcée et incite à des mesures curatives pour approcher d’une teneur minimale. À Annet, (0,2 µg) et à 10 ng/L (0,01 µg) selon le type de résidus.
Des normes en évolution
Faut-il adapter les stations pour filtrer la molécule ? Attendre de voir si la molécule disparaît avec le temps ? Pour l’heure, l’ARS Île-de-France se contente du constat. En conseil municipal, la conseillère a interrogé Jean-Paul Michel, à la fois maire de Lagny-sur-Marne et président de la communauté d’agglomération de Marne et Gondoire dont 13 villes, incluant Lagny, sont desservies par cette usine.
« Le syndicat n’a pas vocation à déterminer des normes. Là, l’eau est conforme. Pour les taux et les seuils à mesurer, nous dépendons de l’ARS, mais ces seuils évoluent tout le temps », a-t-il réagi. Jean-Paul Michel a également rappelé que l’usine a fait l’objet de modifications « à coup de millions d’euros », investis par le délégataire, pour améliorer la qualité de l’eau produite.
Technique ou politique ?
D’autres améliorations pourraient intervenir à l’avenir. Avec le délégataire, le SMAEP étudie la piste de « l’osmose inverse », un puissant procédé notamment utilisé dans la désalinisation de l’eau. Avec cette technique, même les minéraux sont éliminés et il faut parfois reminéraliser l’eau. Cette solution est très énergivore et ne serait pas sans conséquence sur le prix de l’eau.
« C’est une solution techniciste, mais il pourrait y avoir des décisions politiques », relève Carole Chavanne. « Déléguer l’exploitation de l’usine à un délégataire privé est un choix politique. Mitry-Mory a par exemple fait le choix de rester en régie publique. Et les élus peuvent peser sur le délégataire, ou l’ARS. On pourrait aussi envisager d’agir sur l’agriculture, en interdisant davantage de pesticides… », énumère-t-elle.
Dans son bilan 2022 du Plan départemental de l’eau, le Département de Seine-et-Marne compte en tout cas intégrer le chlorothalonil et le chloridazone dans une liste réactualisée des pesticides à surveiller afin de disposer de données nécessaires. « La recherche de ces nouvelles molécules pourra donc conduire à l’apparition de nouvelles non-conformités sur le territoire », conclut-il.