Paru sur le site Novethic :
Publié le 14 janvier 2023
ENVIRONNEMENT
"POLLUTION DU SIÈCLE" DE L’ESCAUT : LE SUCRIER TEREOS CONDAMNÉ À UNE SANCTION INÉDITE
Le deuxième plus gros groupe sucrier au monde, Tereos, a été condamné à plus de 9 millions d'euros de dommages et intérêts. Il est responsable de la mort de tonnes de poissons après qu'une de ses digues se soit rompue entre le 9 et 10 avril 2020 provoquant le déversement de milliers de litres de liquide noirâtre dans le fleuve de l'Escaut. Pour Corinne Le Page, qui représente la région de Wallonie touchée de plein fouet par ce préjudice écologique, cette affaire marque un tournant.
Le sucrier Tereos a pollué l'Escaut et provoqué une chute de la biodiversité dans ce fleuve de 355 km de long, qui traverse la France, la Belgique et les Pays-Bas. Istock / Photo prétexte
C’est une sanction "inédite" pour l’avocate et ancienne ministre de l’Environnement Corinne Le Page. Le 12 janvier, le tribunal correctionnel de Lille a condamné le géant sucrier Tereos à plus de 9 millions d’euros de dommages et intérêts pour sa "négligence" dans l’entretien de ses installations en 2020. Cette année-là, dans la nuit du 9 au 10 avril, une digue de l’entreprise cède et déverse dans le fleuve de l’Escaut plus de 100 000 mètres cubes d’eaux de lavages des betteraves sucrières.
Ce liquide noirâtre qui a traversé la France, la Belgique et les Pays-Bas, est responsable de la mort de tonnes de poissons. L’enquête a conclu à la diminution de "50 % du nombre d’espèces et 90 % des effectifs" par rapport à la normale, lors des inventaires effectués en mai et octobre 2020. "C’est la pollution du siècle pour l’Escaut", souligne à Novethic Corinne Le Page, qui représente la région de Wallonie. Cette dernière touchera 8,86 millions d’euros au titre du "préjudice écologique", quasiment la moitié des 17 millions d’euros réclamés par la région.
"On avait effectivement demandé plus mais la somme est quand même énorme. Je pense que c’est un tournant car le but de ces procédures est de faire sanctionner comme une infraction pénale ce type de comportement mais aussi que les sanctions soient dissuasives. Et ici, c’est le cas", fait-elle remarquer.
"Je fais du droit, pas de la comm"
Outre les dommages et intérêts, le groupe est également condamné à une amende de 500 000 euros, conforme aux réquisitions du parquet lors de l'audience mi-novembre. Mais l'obligation de "réparer les dommages" environnementaux provoqués, également réclamée, n'a pas été retenue, un arrêté préfectoral d'août 2021 prescrivant déjà à Tereos des mesures de réparation écologique de l'Escaut. "Il y a eu des négligences, des imprudences, un non-respect de la réglementation" qui ont "contribué à aggraver le risque d'accident", avait pointé le substitut du procureur Florian Pappo, pour qui "il faudra des années" pour réparer les dégâts.
"Il n’y a pas de surprise, le tribunal a suivi les réquisitions du procureur", commente auprès de Novethic l’avocat de la coopérative Tereos, Alexandre Moustardier. Interrogé sur le qualificatif de "pollution du siècle" employé par Corinne Le Page, l’avocat répond : "Je fais du droit et pas de la comm, je reste sur les faits juridiques. Corinne Le Page est coutumière de ce genre de déclaration". Quant à la possibilité de faire appel de cette décision, Tereos ne s’est pas encore positionné. Le groupe a 10 jours pour faire connaître sa décision.
Préjudice écologique
De nombreuses associations environnementales (Ligue de protection des oiseaux, Fédération du Nord pour la protection des milieux aquatiques...) ainsi que des collectivités, comme la ville belge d'Antoing, s'étaient par ailleurs constituées parties civiles. Toutes se sont vues dédommagées à hauteur de plusieurs milliers d'euros, au titre du préjudice moral et matériel, mais parfois aussi en raison du préjudice écologique.
Ce préjudice a été reconnu pour la première fois dans le procès de l'Erika, qui avait fait naufrage en 1999 au large des côtes françaises de Bretagne et définitivement confirmé par la Cour de cassation en 2012. "Ça coûte cher de polluer et c'est parce que ça sera de plus en plus cher que les pollueurs feront les investissements nécessaires pour éviter les catastrophes écologiques", rappelle Corinne Le Page.
Marina Fabre Soundron @fabre_marina avec AFP