Paru dans le journal de l’environnement :
Ces enquêtes publiques maintenues pendant le confinement
Le 31 mars 2020 par Stéphanie Senet
Si les enquêtes publiques sont en principe interrompues ou reportées, une ordonnance du 25 mars permet de les maintenir pendant le confinement lorsqu’elles visent un projet de portée nationale. Une situation très critiquée par les associations. Deux projets sont concernés dans l’Allier.
Alors que le confinement représente un obstacle évident à l’organisation de réunions publiques ou de permanences, l’article 12 de l’ordonnance du 25 mars prévoit la possibilité de maintenir une enquête publique. A trois conditions cumulatives. L’interruption de l’enquête doit en effet «être susceptible d’entraîner des conséquences difficilement réparables dans la réalisation de projets présentant un intérêt national et un caractère urgent». Dans ce cas, le préfet peut prévoir une dématérialisation complète de la procédure pendant l’enquête.
UN PROJET AUTOROUTIER DANS L’ALLIER
Une brèche dans laquelle s’est engouffrée la représentante de l’Etat dans l’Allier. En plein confinement de la population française, l’enquête visant le projet autoroutier de l’Allier (Route Centre Europe Atlantique) entre Sazeret (Allier) et Digoin (Saône-et-Loire) a été lancée le 23 mars. Avec annulation des 9 permanences publiques initialement prévues. Les citoyens peuvent seulement déposer une contribution sur le site internet des enquêtes publiques, peu connu du grand public, alors que le dossier s’avère particulièrement volumineux et complexe.
UN VIEUX DOSSIER COMPLEXE
Il requiert en effet une autorisation au titre de la loi sur l’eau, une autorisation de travaux dans la réserve naturelle nationale du Val d’Allier et en domaine public fluvial, une dérogation aux interdictions relatives aux espèces et habitats protégés, l’enregistrement et la déclaration d’ICPE[1], etc. Autre grief : l’origine du projet remontant à 1983, son caractère d’urgence ne semble pas prioritaire. Enfin, l’Autorité environnementale a estimé, dans un avis rendu le 15 février, que le dossier devait être «repris en profondeur», l’étude d’impact «n’étant pas de nature à informer correctement le public». Or celle-ci n’a été modifiée qu’à la marge. De quoi remettre en question le bien-fondé d’une dérogation exceptionnelle.
DIFFÉRENCES D’INTERPRÉTATION
Une interprétation que ne partage pas la Commission nationale des commissaires-enquêteurs (CNCE). «Il faut tout simplement interrompre les enquêtes en cours et reporter toutes les autres, pour éviter un fort déficit de participation. Nous avons prévenu le ministère de la transition dès le 18 mars. Mais certaines initiatives préfectorales vont à l’encontre de ce principe. C’est le cas dans l’Allier. En Vendée, l’enquête visant un projet de carrière a été maintenue avant d’être finalement suspendue», explique au JDLE Brigitte Chalopin, présidente de la CNCE.
DES CONSULTATIONS DISCRÈTES
Ce projet autoroutier n’est pas le seul à faire l’objet d’une enquête publique en plein confinement. Selon le site des enquêtes publiques, c’est aussi le cas de l’exploitation d’une carrière de sables et de graviers (toujours dans l’Allier), dont l’enquête a été lancée le 23 mars alors que les 5 permanences du public sont annulées. Par ailleurs, d’autres consultations du public sont maintenues: des concertations autour de chartes départementales d’engagements des utilisateurs agricoles de pesticides et une participation du public autour du projet de ZAC de la porte de Malakoff (Hauts-de-Seine).
UNE PERMANENCE SINON RIEN
«Les permanences sont le seul moyen d’informer le public lors d’une enquête publique», rappelle l’ancien commissaire-enquêteur Gabriel Ullmann. En l’état actuel, «les commissaires-enquêteurs ne sont pas à même de conduire l’enquête pour permettre au public de disposer d’une information complète sur le projet et de participer effectivement au processus de décision», poursuit-il.
Même analyse du président de l’association FNE Allier Gérard Matichard, qui demande à la préfète de suspendre cette enquête afin qu’elle puisse se tenir dans de bonnes conditions. Des demandes similaires ont été envoyées par d’autres associations départementales. Sans réponse, il y a fort à parier que les projets fassent l’objet de recours devant les tribunaux administratifs.
[1] Installation classée pour la protection de l’environnement