Paru sur le site le Monde :
Quel est le poids des facteurs d’environnement sur la santé des Européens ?
25 mai 2014 – W.Dab
Depuis que les maladies dues à des intoxications aiguës liées à de fortes doses de polluants comme le saturnisme aigu ont notablement régressé en Europe, le rôle des facteurs d’environnement est devenu invisible. Ils ne peuvent plus être observés au niveau individuel par les médecins. Seule l’observation populationnelle permet désormais de les estimer et ceci passe par l’analyse des risques en tant que probabilités.
Comme le dit l’adage « on ne croît que ce que l’on voit ». Comme on ne voit plus directement des maladies spécifiquement causées par les pollutions environnementales, le rôle de l’environnement a tendance à être tenu pour négligeable. Le raisonnement qui prévaut découle en grande partie d’un modèle pasteurien qui tient que chaque maladie a une cause et que chaque cause crée une maladie. Ce modèle est devenu obsolète quand la figure des risques est celle de faibles doses répétées qui constituent un déterminant, parmi d’autres, des maladies chroniques (cancers, maladies cardiovasculaires ou respiratoires, etc.). C’est un modèle de plurifactorialité des maladies qu’il convient maintenant de mobiliser, un modèle qui est probabiliste plutôt que déterministe.
Un exemple d’application vient d’en être publié par la revue Environmental Health Perspectives publiée par l’Institut américain de santé environnementale. Les auteurs proviennent de six pays européens, dont la France via l’Institut de veille sanitaire, avec le concours du bureau européen de l’OMS. Dans ce travail, ils ont analysé le poids sur la mauvaise santé de neuf polluants : benzène, dioxines, fumée du tabac (chez les non-fumeurs), formaldéhyde, plomb, bruit créé par le trafic automobile, ozone, particules fines et radon. Pour chacun d’entre eux, la mauvaise santé a été mesurée au travers des études épidémiologiques disponibles et leur poids a été estimé en termes d’années perdues de vie en bonne santé en ne prenant en compte que les maladies pour lesquelles le rôle causal des neuf polluants est reconnu.
Globalement, entre 3 et 7 % des années perdues de bonne santé sont attribuables à ces polluants. À eux seuls, les particules fines représentent près de 70 % de ce fardeau. Puis viennent la fumée de tabac et le bruit pour 8 % chacun et le radon pour 7 %.
À quoi peuvent servir ces résultats ? D’abord à rendre visible l’invisible et à rappeler que l’on n’en a pas fini avec la prévention des pollutions même si les progrès obtenus ces dernières décennies sont appréciables. Ensuite, à faciliter les décisions de politiques publiques. Les décideurs ne sont pas des scientifiques. Face à une masse de plusieurs milliers d’études parfois contradictoires, ils sont décontenancés et ne savent pas comment les utiliser. En synthétisant ces études et en les présentant de façon harmonisée, les chercheurs contribuent à réduire l’incertitude. Enfin, ces résultats permettent de répondre à la question de la définition des priorités d’actions. On sait que les neuf polluants étudiés sont associés de façon certaine à des maladies. Mais quelle est leur importance respective ? On voit ici clairement que les particules fines atmosphériques constituent de loin la priorité pour la prévention. Le rôle du bruit mérite d’être souligné, car on le considère plus souvent comme une nuisance que comme un véritable facteur de risque.
On peut certes se dire que tout compte fait, les pollutions ne jouent plus un rôle majeur pour la santé des Européens. D’un autre côté, il s’agit de facteurs modifiables et les coûts des soins sont importants ce que vient de le montrer un rapport de l’OCDE.
Chaque pays est donc fondé à agir, mais l’Union européenne pourrait fournir un cadre commun d’actions. En ce jour d’élection qui a peu mobilisé, n’y a-t-il pas là une voie pour réconcilier les institutions européennes et les citoyens ?