Paru sur le site monde académie planète :
Le mâchefer, des ordures incinérées sous le bitume
avr 21st, 2014 @ 11:20 › mondeacplanete
Résidu issu de l’incinération des ordures ménagères, le mâchefer est utilisé comme matériau alternatif pour la réalisation de sous-couches routières. Une technique de recyclage qui peine à être connue et dont le modèle économique demeure fragile.
Que vos poubelles soient grises, vertes ou brunes selon les agglomérations, une bonne partie de leur contenu est incinéré, soit 33% des ordures ménagères ramassées en France par les services municipaux. Après un passage en « centre de valorisation énergétique » - l’autre désignation des incinérateurs - , les ordures servent à produire électricité et chaleur. Mais également, en sortie de four, du mâchefer, une boue grisâtre étrangement peu odorante.
Transformés en « graves de mâchefer » au terme d’un processus de retraitement long de plusieurs mois, ces résidus peuvent servir dans les chantiers de travaux publics, se substituant aux matériaux naturels comme le sable ou le gravier. Le plus souvent, les mâchefers s’utilisent en technique routière dans les sous-couches sur lesquelles le bitume est posé, mais ils peuvent également servir en remblai de tranchée ou de voirie, ou sous les carrières des centres équestres.
Cette technique de recyclage ne date pas d’hier, et aurait, selon les sources, près de deux siècles. La société Yprema, basée en Seine et Marne (77), commercialise du mâchefer depuis 1995. Avec un argument économique de taille : « Cela coûte quatre fois moins cher à la collectivité de le recycler que de l’envoyer en décharge », avance Antoine Pereira, chargé de développement de l'entreprise.
Alors que les procédés issus de l’économie circulaire ont le vent en poupe, l’activité mâchefer de cette PME, reconnue dans le secteur, est pourtant en difficulté : « Nous produisions 250 000 tonnes de mâchefer en 2005 sur notre site de Lagny-sur-Marne (77), et nous n’en vendons désormais plus que 50 000 tonnes », explique M. Pereira. En 2013, la branche mâchefer ne correspondait plus qu'à 10% de l’activité totale de l’entreprise.
La filière mâchefer en manque de déchets ?
A Reims, sur le deuxième site que la société Yprema exploite, le centre de valorisation a enregistré, depuis son ouverture en 2006, une diminution de 33% de l’arrivée de nouveaux mâchefers. Une baisse qui s’explique, pour Didier Gueniffrey, responsable des déchets de Reims Métropole, par le succès des campagnes de sensibilisation aux collectes sélectives : « On remarque également une augmentation de la fréquentation des déchetteries, où les rebuts sont directement recyclés et ne passent donc plus par l’incinérateur ».
La diminution des journaux publicitaires gratuits, l’optimisation des emballages, la multiplication des vide-greniers, ou encore la baisse de la consommation des ménages liée à la crise économique, sont autant d'éléments qui ont un impact sur les volumes d'ordures ménagères traités par les agglomérations. Ainsi, d'après les chiffres d'Eurostat, l'office statistique de l'Union, le volume de déchets par habitant ramassés par les services municipaux est en stagnation voire en diminution depuis 2007.
Yprema impute surtout ses problèmes de débouchés à une réglementation défavorable, qui rendrait les professionnels du BTP frileux quant à l’utilisation de matériaux recyclés à partir de déchets. Le mâchefer souffre ainsi de la mauvaise image de l’incinération auprès de l’opinion publique. « Nous ne souhaitons pas encourager la valorisation du mâchefer, qui doit être considéré comme un déchet ultime », explique Edouard Van Heeswyck, du Centre national d'information indépendante sur les déchets (Cniid), craignant que cette valorisation soit un prétexte pour soutenir l’incinération.
Pour l'association écologiste, le caractère non flexible de l'incinération – la dimension des fours nécessite un flux continu de déchets – conduit inexorablement à limiter les efforts de tri en amont. De fait, le Centre d’incinération de Saint-Thibault-des-Vignes (77), qui recueille les déchets ménagers de 31 communes d’Ile-de-France, est obligé de passer des contrats avec de grosses entreprises comme Aéroport de Paris ou Disneyland pour pouvoir tourner à pleines capacités. « Les fours ont été dimensionnés en pensant que la ville nouvelle de Marne-la-Vallée compterait beaucoup plus d’habitants qu'aujourd'hui», explique Lydie Vincent du Sietrem, le syndicat de gestion des déchets pour l’agglomération.
Le Cniid s'inquiète aussi des conséquences environnementales de l'utilisation d'un matériau qu'ils jugent comme étant un concentré de polluants (voir encadré ci-dessous). La réglementation en vigueur depuis 2011 vise d'ailleurs à durcir les seuils de toxicité à respecter pour que le mâchefer soit valorisable. « Le mâchefer des années 1980 n'est pas le mâchefer d'aujourd'hui », assure Lydie Vincent, faisant valoir qu'aucun cas de pollution n'a été constaté en plus de vingt ans.
L'amélioration de l'image du mâchefer auprès des professionnels du BTP ne pourra donc faire l'économie d'un intense travail de sensibilisation et de démarchage. Nicolas Garnier de l'association Amorce, qui représentait les collectivités lors du Grenelle de l'environnement, se veut confiant : « Près de 50% des conseils généraux se déclarent désormais prêts à l'utiliser. » Pour lui, les débouchés potentiels sont énormes. « Au-delà du mâchefer, le monde du BTP doit davantage intégrer les matériaux issus du recyclage, qui ne représentent que 2 à 3% des utilisations en remblais », estime-t-il.
Adrien Barbier (Monde Académie)
http://mondeacplanete.blog.lemonde.fr/2014/04/21/le-machefer-des-ordures-incinerees-sous-le-bitume/