Alors que les agences de l'eau achèvent leur bilan, retour avec Laurent Roy, directeur de l'eau et de la biodiversité à la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) sur la politique de l'eau en France et notamment sur les objectifs de bon état fixés par la DCE.
Interview | Eau | 23 décembre 2013 | Actu-Environnement.com
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Laurent Roy
Directeur de l’eau et de la biodiversité à la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN)
Actu-environnement : Différents rapports préconisent de revoir les objectifs de bon état des masses d'eau "pour qu'ils soient plus réalistes" tout en restant conformes à la DCE, cette piste sera-t-elle suivie en France ?
Laurent Roy : La DCE fixe un bon état général pour toutes les masses d'eau. Des dérogations sont possibles mais l'usage de ces dernières - que ce soit des reports d'échéance ou le fait d'anticiper la non atteinte du bon état - est strictement encadré par la Commission européenne : il faut pouvoir justifier le motif de cette dérogation. La Commission s'est avérée extrêmement vigilante vis-à-vis de certains Etats membres, qui ont utilisé les dérogations de manière plus importante que ce qui a été fait en France. Ceci étant dit, nous sommes en train de réviser les Sdage. Dans cette procédure, l'état des masses d'eau est réexaminé et nous affinerons la définition des objectifs ainsi que les échéances.
AE : La France s'est fixée comme objectif, que certains considèrent comme ambitieux, d'atteindre le bon état écologique pour 66% des eaux de surface dès 2015 : va-t-elle le maintenir ?
LR : Le taux d'effort de la France - la proportion des masses d'eau en bon état dans l'état initial par rapport à l'objectif fixé - est de près de 25 points. Notre état initial montre que près de 40% des masses d'eau était en bon état. Ceci place la France juste dans la moyenne des Etats membres de l'Union européenne. Désormais nous ne fixerons plus un taux à priori, mais nous adopterons une démarche ascendante, à partir de la situation de terrain pour avoir une vision beaucoup plus réaliste.
AE : Quelles sont les conséquences du changement de "thermomètre" entre les deux cycles de mesures ?
LR : Nous progressons dans la connaissance. Ce qui rend la comparaison entre l'état des masses d'eau de 2009 et celui en cours, difficile. Nous avons désormais plus de points de prélèvement renseignés pour plus de paramètres. Ceci découle d'ailleurs d'une obligation européenne : la Directive du 12 août 2013 qui renforce les obligations de suivi de qualité sur un certain nombre de substances chimiques. Selon la DCE, lorsqu'un paramètre est déclassant, la masse d'eau est déclassée. Puisque nous avons plus de paramètres, mécaniquement nous avons l'impression d'une dégradation. Nous travaillons avec la Commission européenne et les autres Etats membres pour obtenir une présentation de l'état des masses d'eau où nous aurions une vision un peu plus subtile : nous ferions une analyse par groupe de paramètres, pour avoir une meilleure perception de la réalité des masses d'eau.
AE : L'état des lieux de 2004 révèle des difficultés à évaluer l'état chimique (notamment des cours d'eau) dans certains bassins : quelles évolutions sont prévues et comment améliorer la connaissance ?
LR : Le premier état des lieux réalisé en 2004 pour l'état chimique était en effet très lacunaire. La raison réside dans le fait que pour beaucoup de substances chimiques, la décision de les suivre, prise au niveau européen, est arrivée en avance par rapport aux méthodes analytiques qui permettaient de les mesurer. Les méthodes ont nettement progressé depuis. Nous disposons également de références plus claires : en 2004 nous nepouvions nous reposer ni sur des normes, ni sur des seuils. C'est chose faite avec la directive du 16 décembre 2008. Nous nous sommes également dotés d'un outil performant : Aquaref. C'est un consortium qui regroupe les organismes publics compétents en matière d'analyse de l'eau (le BRGM, l'Ifremer, l'Ineris, l'Irstea et le laboratoire national d'essai). Nous leur avons fixé comme priorité de travailler sur l'amélioration de ces méthodes analytiques dans le domaine du suivi chimique et nous possédons désormais de quoi faire un état chimique satisfaisant. Reste à obtenir des marges de progrès sur les substances nouvelles ajoutées par la directive du 12 août 2013.
AE : Les Sdage ont un champ plus large que les plans de gestion de district de la DCE, ce qui peut entraîner des différences dans le rapportage, des mesures vont-elles être prises pour "uniformiser" l'ensemble ?
LR : Les Sdage traitent effectivement de plus de sujet que ce qui est exigé par le DCE. Cela nous permet de mieux encadrer les différentes politiques publiques produites sur le territoire de manière à ce qu'elles soient davantage compatibles avec les objectifs de la politique de l'eau. Pour que les Sdage puissent être opposables par exemple aux décisions administratives dans le domaine de l'eau, aux schémas départementaux des carrières, aux documents d'urbanisme etc., il faut qu'il couvre un champ plus large que la DCE.
De notre point de vue, ce n'est pas un problème : cela ne nous empêche pas de faire un rapportage harmonisé à la Commission. D'autant qu'un arrêté du 17 mars 2006 définit précisément ce qu'est un Sdage : ils sont donc homogènes entre eux
AE : Une réorganisation des agences de l'eau est-elle prévue ?
LR : Non ce n'est pas envisagé. Le rapport réalisé dans le cadre de la modernisation de l'action publique est venu nourrir les travaux de la table ronde sur la politique de l'eau qui s'est tenue lors de la Conférence environnementale. Ces travaux se sont traduits par une feuille de route : à aucun moment celle-ci envisage de modifier l'organisation des agences de l'eau.
AE : Certains préconisent que la compétence de la gestion du grand cycle de l'eau soit conférée à l'échelon des collectivités locales : cette option est-elle envisageable ?
LR : La discussion est en cours dans le cadre du projet de loi Décentralisation. Il est effectivement envisagé, suite à un amendement parlementaire, de confier le bloc de compétences "gestion de l'eau et des milieux aquatiques, protection des inondations" aux communes et EPCI à fiscalité propre pour les cours d'eau non domaniaux seulement – ces derniers sont de la responsabilité des propriétaires privés –.
Aujourd'hui, nous constatons que de nombreux cours d'eau non domaniaux sont entretenus de manière satisfaisante. Des syndicats de rivières se sont constitués et font un excellent travail. Néanmoins, il reste des endroits où il n'y a rien. Les communes ou EPCI à fiscalité propre pourront déléguer à leur tour cette compétence, s'ils le souhaitent, aux syndicats de rivières ou aux établissements publiques territoriaux de bassins quand ils existent …
AE : Quelles évolutions sont prévues pour améliorer le système d'information sur l'eau ?
LR : La transparence dans le domaine de l'eau passe par un bon accès aux données, c'est le seul moyen pour avoir une compréhension de la politique de l'eau par l'ensemble de nos citoyens. Cela montre également à quoi sert l'argent versé à travers la facture d'eau.
Aujourd'hui ce système est incomplet et pas assez facile d'accès, même pour des spécialistes. Il est indispensable d'améliorer la situation. Pour ce faire, nous allons initier un débat au sein du Conseil national de l'eau et associer les associations de consommateurs et de protection de l'environnement ainsi que les industriels pour faire apparaître leurs besoins d'information. En parallèle, un audit du système d'information sur l'eau est en cours de montage : il auditera la manière dont le système fonctionne au sein de l'Onema et formulera des propositions concrètes. Des pistes de progrès sont déjà lancées : l'Onema travaille à un point d'accès unique sur le web à toutes les données sur l'eau pour tous les acteurs publics. Nous proposons également un outil pour Smartphone.