Claye-Souilly :
une commune pauvre
qui accepte toute activité, malgré les nuisances ?
A vous de juger
« Comme souvent, les opérateurs privés vont dans les endroits les plus pauvres et où il y a le moins d’activité économique, parce que ces communes sont prêtes à accepter toute activité qui demande à venir, malgré les nuisances », complète Corinne Rufet, »
(extrait article qui suit http://www.bastamag.net/Dechets)
extrait article PARU SUR LE SITE Basta ! :
DÉCHARGES
17 JUILLET 2014
Des montagnes de déchets totalisant 40 millions de tonnes chaque année. Un quasi monopole de Veolia et de Suez sur leur traitement. Des incinérateurs qui posent davantage de problèmes qu’ils n’en résolvent. Bienvenue dans les poubelles de l’agglomération parisienne. Où les ordures se mélangent et s’agglutinent, se brûlent puis se stockent, sans pour l’instant que soient imaginées d’autres alternatives. A quand une vraie filière de tri et de compostage ? La région Île-de-France osera-t-elle se lancer dans le mouvement « zéro déchet » ? Enquête.
Les environs de Claye-Souilly, au nord de la Seine-et-Marne, par un beau matin de printemps. Des effluves bien particulières. Pas celles de fromages de Brie fermentant au soleil, mais des décharges, nombreuses, qui entourent la ville. Elles accueillent chaque jour une noria de camions venus de toute l’Île-de-France pour déposer gravats, métaux ou déchets ménagers. La plupart des décharges de la région – poliment nommées installations de stockage – n’accueillent que des déchets dits inertes, c’est à dire des terres, des bétons ou des briques, issus des chantiers franciliens.
Ces déchets sont utilisés pour remblayer d’anciennes carrières ou forment des petites collines dans le paysage des plaines de la Brie. Claye-Souilly a également la chance de partager avec deux villes voisines la plus grande décharge francilienne de déchets ménagers – « installation de stockage de déchets non-dangereux » en langage technique (ISDND). Le monstre, propriété de Veolia Propreté, s’étale sur 289 hectares, soit la taille du 10ème arrondissement de la capitale. Et peut accueillir annuellement 1,1 million de tonnes de déchets.
Plus d’un million de tonnes de déchets dans une seule décharge ! Le chiffre a de quoi donner le tournis. En fait, parler des déchets en Île-de-France, c’est toujours parler de chiffres astronomiques. Un million de tonnes, correspond plus ou moins au poids des déchets ménagers collectés en un an à Paris intramuros. L’ensemble des Franciliens rejettent annuellement 5,7 millions de tonnes d’ordures ménagères, soit 481 kg par habitant. Aux poubelles des habitants s’ajoutent des déchets d’activité économique, parmi lesquels on distingue les déchets de chantier et les déchets de l’industrie, des services et du commerce.
Les premiers représentent l’immense poids de 30 millions de tonnes, constitué à 88 % de déchets inertes et très largement mis en décharge. La seconde catégorie ne représente « que » 5 à 6 millions de tonnes, mais produit tout de même l’essentiel des déchets dangereux d’Île-de-France. Cependant, on observe d’immenses disparités entre les différentes activités : un employé de boucherie génère ainsi en moyenne 65 kg de détritus par semaine, alors qu’un employé de boulangerie n’en jette que neuf. Au total, l’Île-de-France produit donc annuellement un peu plus de 40 millions de tonnes de déchets ! L’équivalent de ce que produit la France en blé !
Ce matin-là, le soleil des premiers beaux jours illumine les montagnes de déchets de Claye-Souilly. Une odeur de poubelle se diffuse sur les champs avoisinants. Cette balade dans les plaines de la Brie oblige à se poser une question : pourquoi ce petit bout d’Île-de-France, coincé entre la Marne et l’aéroport Charles-de-Gaulle accueille-t-il autant de décharges – sans compter les installations de traitement de déchets dangereux présentes dans les villes voisines de Mitry-Mory et Villeparisis ? « D’après les entreprises du secteur, le nord de la Seine-et-Marne cumule plusieurs avantages : la proximité avec Paris, peu de protections territoriales (parc régionaux par exemple), la présence d’axes de transport fluvial et des élus locaux favorables », répond Helder de Oliveira, directeur de l’Observatoire régional des déchets d’Île-de-France (ORDIF). Corinne Rufet, vice-présidente du Conseil régional à l’environnement, l’agriculture et l’énergie, ajoute : « C’est un endroit où il y a des terres vastes, assez peu d’activité économique et où les agriculteurs ont accepté de vendre leurs terres. »
À Claye-Souilly, les militants de l’Association pour la défense de l’environnement (Adenca) confirment ce diagnostic. Ils croient savoir que les exploitants de décharges offrent plus que les promoteurs immobiliers pour le rachat de terrains. Nombreux sont les agriculteurs en reconversion qui ont vendu leurs terres. « Comme souvent, les opérateurs privés vont dans les endroits les plus pauvres et où il y a le moins d’activité économique, parce que ces communes sont prêtes à accepter toute activité qui demande à venir, malgré les nuisances », complète Corinne Rufet, tristement réaliste. Dans ses plans d’élimination des déchets, la région Île-de-France invite justement à un meilleur équilibrage territorial des installations de traitement. Mais cet équilibrage peine à être mis en œuvre. D’ailleurs les communes qui vivent grâce à cette activité ne sont pas forcément enthousiastes à l’idée de voir partir des emplois, pénibles et déconsidérés……
Cette réglementation reste toujours insuffisante pour le Centre national d’information indépendante sur les déchets (CNIID) qui relève que plus de 2000 molécules sortent des cheminées des incinérateurs alors que l’arrêté ne porte que sur une vingtaine de produits. « Les effets de certaines de ces molécules restent encore inconnues, d’autant plus que les effets sur la santé et l’environnement peuvent être potentiellement décuplés par l’effet "cocktail", lorsque des substances agissent en interaction avec d’autres », prévient l’association.
L’Ademe et le CNIID sont au moins d’accord sur un point : les fumées ne représentent qu’une très faible portion des sorties d’incinérateurs. Après quelques heures de combustion, l’essentiel des déchets quitte l’usine sous forme de résidus d’incinération représentant environ 30 % du poids de départ, sous forme de poussières et de cendres extrêmement concentrées en dioxines et en métaux lourds. Ces poussières rejoignent immédiatement des installations de stockages spécialisées dans les déchets dangereux. Quant aux résidus, ou mâchefers, ils représentent encore une masse importante. Une partie est réutilisée (notamment dans les sous-couches routières), mais une fraction importante échoue dans les décharges de déchets non-dangereux, aux cotés des ordures ménagères non-incinérées.
La boucle est ainsi bouclée et nos déchets, même réduits par l’incinération, rejoignent quand même d’autres montagnes de déchets. À Claye-Souilly, ce sont ainsi presque 140 000 tonnes de mâchefers qui sont entrées sur la décharge en 2011, dont plus de 60 % venant de l’incinérateur d’Issy-les-Moulineaux. Loin de représenter une alternative au « stockage », l’incinération nécessite donc la présence de décharges.
L’autre gros désavantage de l’incinération c’est son manque de souplesse : un incinérateur qui ne fonctionne pas au maximum de ses capacités coûte très cher. C’est pourquoi, selon la dernière synthèse de l’ORDIF, un peu plus de 3,6 millions de tonnes de déchets ont été incinérés en 2011, pour une capacité d’environ 4 millions de tonnes (soit une utilisation de 91 % des capacités). En comparaison – avec 2,6 millions de tonnes de déchets non-dangereux stockés – les capacités des décharges sont utilisées à 81 %. Quant aux centres de tri, ils ne sont utilisés qu’à 43 % de leurs capacités ! Mais comment croire qu’une filière de recyclage ambitieuse se mettra en place, alors qu’il faut alimenter les 19 incinérateurs franciliens, dont les trois principaux (tous héritiers des quatre premiers de 1900, à l’exception de celui de Romainville qui a fermé) totalisent une capacité de 1,7 millions de tonnes. Ailleurs en Europe, certains pays, confrontés à ce problème, avaient même choisi d’importer des déchets.
Sans oublier que les critères économiques ne sont pas à l’avantage du recyclage.« Fiscalement, la TVA est la même pour l’incinération, le stockage ou le recyclage, alors que le processus de recyclage est plus cher. Il est donc moins coûteux de mettre en décharge ou d’incinérer. Les centres de tri souffrent aussi de l’instabilité de leurs revenus, liés aux cours boursiers des différents matériaux, alors que les revenus de l’incinération, sous forme de vente de chaleur et d’électricité, sont très réguliers », explique Helder de Oliveira.
L’Île-de-France oublie ainsi très largement les alternatives au stockage et à l’incinération dans le traitement de ses déchets, toujours sous l’œil bienveillant de quelques multinationales, spécialisées dans la délégation de service public. Au quasi-monopole de Veolia sur le stockage des déchets non-dangereux, Suez répond par l’exploitation, via sa filiale Novergie, du plus gros incinérateur francilien à Ivry-sur-Seine. Suez détient également une participation à l’incinérateur d’Issy-les-Moulineaux en partenariat avec la société TIRU (pour traitement industriel des résidus urbains), opérateur historique des usines d’incinération limitrophes de Paris et détenue à 51 % par EDF....
Florent Lacaille-Albiges
http://www.bastamag.net/Dechets