Paru sur le site « La Montagne » :
Plus de 500.000 € en jeu : pourquoi les sommes sont aussi élevées autour du procès des méthaniseurs cantaliens ?
Publié le 22/11/2021 à 10h55
Les deux méthaniseurs de Saint-Bonnet-de-Salers et Sainte-Eulalie sont soupçonnés de polluer les environs et la Maronne en aval en relâchant du percolat, le jus concentré des méthaniseurs – sans qu'aucune solution ne soit trouvée entre 2019 et 2021. © Lucie PAULUS
Les chiffres sont énormes : au terme de 9 heures d'audience, les sommes évoquées autour des affaires de pollution des deux méthaniseurs cantaliens sont très élevées, autour de 300.000 € en dommages et intérêts, et 250.000 € requis. Pourquoi l'un des tout premiers procès de la méthanisation en France a fait exploser les enjeux ? Décryptage.
Dans la grande salle d'audience du tribunal judiciaire d'Aurillac, les prévenus regardent leurs chaussures. Surtout le PDG de la société Salers Biogaz, chargé d'exploiter les deux méthaniseurs de Saint-Bonnet-de-Salers et Sainte-Eulalie, soupçonnés de polluer les environs et la Maronne en aval en relâchant du percolat, le jus concentré des méthaniseurs – sans qu'aucune solution ne soit trouvée entre 2019 et 2021.
Autour de ce procès, les enjeux sont énormes, rarement vus dans le Cantal : 250.000 € d'amende ont été requises contre l'entreprise par le procureur Paolo Giambiasi, et plus de 300.000 € de dommages et intérêts ont été demandés par les parties civiles, riverains et associations. Pour comprendre, il faut bien diviser les demandes en deux catégories : le pénal, qui règle le litige entre la société et les prévenus, et le civil, pour le contentieux entre les habitants du secteur, et les personnes poursuivies – l'entreprise et ses trois cadres.
Action publique
Concernant l'amende, le ministère public l'a souhaité élevée avec un objectif : créer une jurisprudence dans le Cantal. Tourné vers le tribunal, Paolo Giambiasi explicite sa pensée : « Les entreprises font un calcul de bénéfice/risque, en intégrant les possibles poursuites judiciaires. Si la réaction de votre tribunal est de mettre 500 € d'amende... [...] Vous fixez, dans le Cantal, l'appréciation du risque des entreprises susceptibles de polluer. Si le site continue, s'il y a de nouveau une pollution, le risque doit être connu. »
Une telle jurisprudence n'existe pas réellement dans le département : la seule affaire comparable est à trouver au Lioran, où la station d'épuration a mal fonctionné pendant 20 ans, détruisant l'Alagnon. 50.000 € d'amende étaient requises contre le syndicat mixte, 5.000 € d'amende avaient été prononcés. C'était en 2019, une éternité considérant le contentieux, écologique, qui prend une place de plus en plus importante dans la société : « L'environnement est devenu une valeur sociale à protéger », notait Me François Mazon, en défense. En septembre, le tribunal judiciaire d'Aurillac a justement organisé un colloque sur le sujet.
Le procureur a également pris en compte à la fois de nombre « d'incidents » – juillet, octobre et décembre 2019, février et août 2020, janvier 2021 pour le site de Sainte-Eulalie, et une pollution constante suspectée à Saint-Bonnet-de-Salers malgré la fermeture du site – et l'incapacité de l'entreprise à trouver une solution.
Une incapacité qui peut être vue comme un manque de bonne volonté, ou comme une incapacité à gérer un tel site – tout au long des neuf heures d'audiences, les deux ont été évoqués. Salers Biogaz était poursuivi, en plus des pollutions, pour ne pas avoir su remplir les conditions administratives : là il manque un agrément, ici la déclaration en préfecture est incomplète.
Plus grave : l'entreprise est également poursuivie pour avoir continué d'exploiter le site après le 23 décembre 2019. La préfecture a pourtant notifié la suspension de l'exploitation du site, mais les chargements de fumier arrivent encore à Sainte-Eulalie. Pour le parquet, « c'est la logique économique qui prévaut. Il faut exploiter, exploiter, exploiter. » « Il n'a pas pris la mesure de l'arrêté, estime plutôt Pierre Lacroix, alors qu'une réunion était prévue le 7 janvier en préfecture. On pensait que tout rentrerait dans l'ordre. J'appelle cela de l'optimisme ! »
Action civile
Les riverains
L'autre partie de la note a été gonflée par les riverains, représentés par Me Jacques Verdier et Me Manon Sergeant, du barreau d'Aurillac. Cette dernière a longuement listé les demandes de ses clients, à la fois des exploitants agricoles et des habitants : mauvaises odeurs, vaches qui avortent, fromages déclassés...
Avec près d'une trentaine de parties civiles, l'addition devient vite salée : pour les entreprises, elle demande systématiquement 10.000 € pour le préjudice financier, ajoute pour l'un une note de 60.000 € – il avait fait des travaux pour refaire tout son réseau d'eau, des travaux rendus obsolètes par les pollutions puisqu'il a fallu se brancher sur le réseau public, argumente-t-elle –, pour l'autre une note de 75.000 €, le coût pour se raccorder au réseau, justement. Enfin, elle joint une facture : un éleveur a racheté 8 vaches, pour 19.000 €.
Côté particuliers, elle demande également 5.000 € pour huit voisins et termine : « On aurait pu croire que cela allait cessait, mais non. Soit le méthaniseur fonctionne dans les règles, soit il doit fermer définitivement. »
L'ensemble de ces demandes ont été balayées par la défense, qui a demandé un renvoi sur intérêt civil. En clair : ils souhaitent traiter ce sujet plus tard, le temps de vérifier certains éléments : « On est à la campagne, il n'y a quand même pas besoin d'aller près d'un méthaniseur pour que cela sente le fumier ! »
Les associations
La fédération de pêche et France nature environnement se sont portés partie civile : une association peut le faire quand elle est déclarée d'utilité publique, comme c'est le cas ici.
La Fédération de pêche œuvrant pour la protection des milieux aquatiques, cela correspond à sa mission : le ruisseau du Moncelle et la Maronne ont été durement touchés. Un peu moins de 15.000 € ont été demandés. « Ils se sont moqués du monde. Ils se disaient "on peut continuer à polluer, ce n'est pas grave tant que c'est rentable". »
France nature environnement s'est portée partie civile, à trois reprises, pour chaque échelon : France, Auvergne-Rhône-Alpes, et Cantal, compte tenu « de l'importance du dossier ». Ils demandent 20.000 € pour chaque échelon, s'inquiète que Chadasaygas, la maison mère de Salers Biogaz, continue d'ouvrir des méthaniseurs, « cela laisse craindre des projets aussi mal gérés. » Ils demandent la publication du jugement dans la presse, reprise dans les réquisitions du procureur et l'interdiction de gérer un projet en lien avec la méthanisation.
Au total, la note s'élève donc à plus de 500.000 €. Les 250.000 € d'amende ont été requis contre l'entreprise (35.000 € d'amende ont également été requis contre son PDG), et les parties civiles ont demandé, dans leur grande majorité, à ce que les prévenus soient condamnés à payer les dommages et intérêts solidairement.
Le délibéré sera rendu le 20 janvier.
Pierre Chambaud
Pour aller plus loin arrêté préfectoral :
https://cpev63500.fr/images/cpev/documents/115_Incident_Salers_decembre-2019_arrete-prefectoral.pdf