Extrait article paru sur le site le Monde :
En Bretagne, les projets de méthanisation suscitent de plus en plus de crispations
Dans la première région agricole de France, les unités de méthanisation agricole ont poussé comme des champignons depuis cinq ans. Aujourd’hui, les critiques se multiplient.
Par Nicolas Legendre(Rennes, correspondant)
Publié aujourd’hui à 04h44, mis à jour à 05h24
« C’est l’énergie renouvelable la plus subventionnée, avec une approche complètement erronée de l’intérêt agroécologique. C’est grotesque, énorme, une hérésie ! Ça finira de façon scandaleuse. » Olivier Allain n’a pas de mots assez forts pour fustiger la méthanisation agricole, procédé consistant à transformer lisiers, fumiers, matières végétales et résidus agroalimentaires en énergie. Il y a quelques années pourtant, le « monsieur agriculture » d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle de 2017, vice-président de la région Bretagne chargé de l’agriculture de 2015 à 2021, considérait cette technologie comme prometteuse. Mais l’éleveur costarmoricain, qui a exercé des responsabilités à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), a changé d’avis. Le développement rapide de la filière, sous perfusion d’argent public, et son impact sur le monde agricole ont eu raison de son enthousiasme. Il n’est pas le seul à s’alarmer.
Dans la première région agricole de France, les unités de méthanisation, infrastructures massives et coûteuses, souvent adossées à des fermes de grande taille ou exploitées par de grandes coopératives, voire par des collectivités locales, ont poussé comme des champignons depuis cinq ans. Les organisations professionnelles concernées en recensent 153 actuellement en fonctionnement, contre moins d’une dizaine il y a dix ans. En outre, 130 projets sont en cours d’étude. A l’origine du phénomène : un alignement des planètes économiques et politiques favorables.
Au milieu des années 2010, le gaz « vert » est présenté par de nombreuses entreprises énergétiques, ainsi que par l’Etat et la FNSEA, comme une solution à de nombreux maux. Il doit permettre de diversifier le bouquet énergétique français, et donc d’atténuer la dépendance envers d’autres pays. Il est aussi censé contribuer à diminuer les quantités d’effluents d’élevage épandus sur les sols, principaux responsables des trop-pleins de nitrates dans les masses d’eau – alors que ce procédé de dégradation des matières organiques en milieu fermé conserve l’azote, les nitrates donc, et le phosphore. Il doit enfin fournir aux paysans concernés des revenus complémentaires, dans un contexte de crises agricoles à répétition, alors que les prix d’achat de la viande, des céréales et autres produits laitiers sont compressés par l’agro-industrie et la grande distribution.
Risques environnementaux
Avec ses 110 millions d’animaux d’élevage et ses 1 500 établissements agroalimentaires, la Bretagne apparaît comme un eldorado. L’Allemagne, où la méthanisation a fait florès dès le début des années 2000, est alors citée comme exemple – depuis, le procédé y a été largement critiqué et son développement a été freiné par l’Etat. La France, elle, ouvre les vannes à partir de 2013. Les gouvernements successifs simplifient les procédures et subventionnent les infrastructures. Les tarifs de rachat du « biogaz », garantis par des contrats de quinze ans, oscillent entre 64 euros et 139 euros par mégawatt/heure, soit cinq à dix fois le coût moyen du gaz naturel en provenance de Norvège, de Russie, des Pays-Bas ou d’Algérie, principaux fournisseurs du marché de gros français....