Paru dans le journal de l’environnement :
Le HCC esquisse son plan de relance de l’économie
Le 08 juillet 2020 par Valéry Laramée de Tannenberg
Pour éviter que le plan de relance de l’économie n’alourdisse notre bilan carbone, le Haut conseil pour le climat (HCC) cible les investissements efficaces, les principes de politiques publiques à respecter et les réformes à engager. A commencer par celle des politiques climatiques régionales. Une véritable feuille de route pour le gouvernement Castex.
En attendant la version du gouvernement Castex, le Haut conseil pour le climat (HCC) esquisse un plan de relance. Dans son rapport annuel, qu’elle publie ce mercredi 8 juillet, l’institution chargée d’évaluer la politique climatique française émet une série de recommandations propres à alléger le bilan carbone national. Et ce ne serait pas du luxe.
Bien sûr, nous disposons déjà d’un arsenal anti-GES des plus conséquents. Loi sur la transition énergétique, loi énergie climat, stratégie nationale bas carbone (SNBC), programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE): rien ne semble manquer pour traquer et dézinguer les molécules de gaz réchauffant. Et pourtant.
Nos performances carboniques sont médiocres. Entre 2015 et 2018, nous avons émis 61 millions de tonnes de gaz à effet de serre de plus que fixé par notre premier budget carbone. Et le respect du second budget (2019-2023) n’est pas acquis. La faute à des logements mal isolés, des voitures toujours plus nombreuses et plus gourmandes, à l’agriculture qui ne rejette que des GES à fort pouvoir de réchauffement (méthane et protoxyde d’azote). Bien sûr, certains efforts payent tout de même. En moyenne, ces dernières années, nous avons réduit nos rejets de 0,9% par an. «Ce qui est encore très loin des 3% de baisse attendus pour 2025, si nous voulons rester sur une trajectoire nous menant à la neutralité carbone en 2050», rappelle Corinne Le Quéré, présidente du HCC.
Les optimistes se consoleront avec le cru 2020 qui devrait voir notre contribution au renforcement de l’effet de serre fortement chuter. «Cette baisse temporaire des émissions de CO2, résultant du confinement, ne répond pas aux enjeux de la transition bas carbone et reste marginale par rapport aux efforts structurels à accomplir», poursuit la climatologue. Et oui. Sitôt le confinement levé, les mêmes voitures qu’avant la crise sanitaire ont repris la route. Sur les mers, ce sont les mêmes cargos qui nous amènent les marchandises produites par les mêmes usines asiatiques. Que faire, comme s’interrogeait déjà Lénine, il y a plus d’un siècle ?
N’oublions pas l’Europe. L’objectif à 2030 de la politique climatique française s’appuie sur celui fixé, il y quelques années par l’Union européenne (-40% d’émission entre 1990 et 2030). Or, dans la perspective de la COP 26, la Commission von der Leyen prévoit de rehausser l’ambition. L’objectif communautaire devrait passer à -50 à -55% en 2030. Un changement de braquet que le gouvernement français doit anticiper.
La priorité, indique le HCC, est d’appliquer les règles existantes avec plus d’efficacité qu’aujourd’hui. «Le pilotage de la SNBC souffre d’un manque de fermeté et d’une vision structurelle et transversale. Ceci doit être rectifié rapidement», propose l’ancienne patronne du Carbon Global Project. Cette reprise en main passe par la publication par chaque ministère de sa feuille de route climatique.
Cet exercice de transparence favorisera la cohérence de l’action publique (enfin !), la transversalité et la préparation du budget vert, dont le premier opus est prévu, précisément, pour 2021. Il évitera aussi la conception de plan de relance sectorielle faisant fin des objectifs climatiques, comme cela s’est déjà vu pour l’automobile ou le secteur aérien.
SOUTENIR LE BAS CARBONE
A propos de transports, l’auditeur des politiques climatiques estime indispensable que le prochain plan de relance soutienne les transports collectifs fortement pénalisés par le confinement. Que les constructeurs automobiles soient incités à réduire la masse de leurs véhicules. Que l’on redéfinisse les perspectives de développement du transport aérien. Que l’on rattrape enfin les retards d’investissement dans le transport ferroviaire porteur de fortes réductions d’émissions. «Le diesel est encore 25% de l’énergie consommée par les TER», notent les rapporteurs.
Vieille promesse électorale, la rénovation des logements devra être véritablement massifiée. «L’Etat doit aider à développer un marché de rénovations globales intégrant le conseil, le suivi, le financement, le contrôle ainsi que la formation [des professionnels du bâtiment]», estiment les experts du HCC. En commençant par les passoires énergétiques occupées par les familles les plus modestes, qui peinent encore à être identifiés malgré leur nombre sidérant (5 millions).
Malgré les réels efforts qu’elle a consentie ses dernières décennies, l’industrie peut faire mieux. Ses entreprises «doivent notamment améliorer l’efficacité énergétique et l’électrification, développer le recyclage des déchets et matériaux et soutenir la R&D de procédés industriels bas carbone». Ce qui passe aussi par la création de soutiens gouvernementaux intégrant (ce qui est rarement le cas aujourd’hui) les enjeux de transition climatique.
Autre gros morceaux, l’agriculture. On l’oublie souvent, le secteur primaire est à l’origine de près de 20% de notre empreinte climatique. Or, «l’agriculture n’est pas structurellement engagée vers la trajectoire bas carbone», regrette Corinne Le Quéré.
Les prochains investissements publics devront inciter les agriculteurs à adopter des pratiques culturales visant à limiter les usages des engrais azotés (source d’émissions de GES très réchauffant), à réduire les émissions de l’élevage et à favoriser le stockage du carbone par les sols. Bref, il s’agit d’appliquer à la lettre les pratiques listées par la stratégie européenne «de la fourche à la fourchette», présentée fin mai.
Cherche bilan d’émission régionaux désespérément. La loi Grenelle 2 impose aux conseils régionaux de publier, tous les 3 ans, un bilan des émissions de gaz à effet de serre (Bege). En juin 2020, seuls 5 Bege régionaux (Picardie, Nord-Pas-deCalais, Lorraine, Île-de-France, Auvergne) étaient disponibles sur la plateforme dédiée de l’Ademe, dont les plus récents datent de … 2015. Ils sont donc obsolètes et incohérents avec le découpage administratif actuel.
L’action publique ne doit pas se limiter à des politiques nationales conçues et mises en œuvre par le gouvernement. Le HCC rappelle que la loi a bombardé les régions cheffes de file de l’action climatique locale. Or, rares sont les conseils régionaux à disposer d’un réel bilan carbone des activités anthropiques se déroulant sur leur territoire.
DES IDÉES POUR LA DÉCENTRALISATION
Ces photographies permettrait d’«assurer l’alignement de [leurs] investissements avec la trajectoire vers la neutralité carbone et de les évaluer.» Une meilleure politique régionale impose aussi sans doute quelques adaptations législatives.
Cheffes de file, les régions ont des moyens d’action limités, notamment fiscaux. Elles ne peuvent non plus imposer leur politique aux autres collectivités: départements, métropoles, intercommunalités.
Or, pour être efficaces, les politiques climatiques locales doivent être coordonnées, à défaut d’être imposées par la capitale régionale. Une idée à souffler aux concepteurs de la réforme annoncée de la décentralisation.