Le Syndicat national des ingénieurs de l’industrie et des mines (Sniim) représente plus de 1 500 inspecteurs des installations classées pour la protection de l’environnement. Ils sont chargés de contrôler les sites industriels ou agricoles susceptibles de créer des risques, des pollutions ou des nuisances pour la population. La France compte 500 000 établissements de ce type, dont 1 312 sites présentant des risques industriels majeurs classés Seveso, comme l’usine Lubrizol, incendiée fin septembre à Rouen. Le secrétaire général du Sniim, Patrice Liogier, déplore un manque de moyens et réclame plus d’indépendance.
Depuis dix ans, il y a une instabilité dans les services déconcentrés de l’Etat. Cela a commencé en 2010 sous Sarkozy, avec la réforme de l’administration territoriale de l’Etat. Les inspecteurs, qui dépendaient des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (Drire), un service déconcentré du ministère de l’Industrie, ont été regroupés au sein des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), avec des personnels d’autres ministères. Ensuite, il y a eu la fusion des régions en 2016, qui a doublé ou triplé la taille des structures. Et aujourd’hui, on est en pleine fusion des secrétariats généraux des services déconcentrés… Ces réformes permanentes engendrent une instabilité pour les inspecteurs et une perte d’efficacité. Pour les installations classées pour la protection de l’environnement, on a vraiment besoin de préserver une chaîne d’inspection du ministère jusqu’à l’inspecteur de terrain, pour qu’il y ait un traitement équitable sur tout le territoire et le bon exercice de nos missions.
Oui. Le nombre d’inspecteurs n’a pas vraiment bougé depuis deux ou trois ans. Mais les sites industriels vieillissent, et nos missions et les tâches à accomplir sont plus nombreuses. Par exemple, nous devons contrôler les parcs éoliens. Or c’est très chronophage, car il y a beaucoup de contentieux. Ce ne sont pas les installations qui présentent le plus de risques, mais elles ont un impact sur le paysage, la biodiversité et la commodité du voisinage. Le fait que l’autorité environnementale se soit greffée aux procédures complexifie et rallonge encore celles-ci. Cela engendre des rapports supplémentaires, et nous conduit à faire plus d’instructions. Du coup, nous faisons moins d’inspections qu’il y a quelques années.
Oui, mais toutes les installations ne sont pas soumises au même régime. La grande majorité relève du simple régime de déclaration. Ensuite, par ordre de contrainte suivent les régimes de l’enregistrement, de l’autorisation, et au sein de l’autorisation, le régime Seveso visé par une réglementation européenne. Le travail des inspecteurs des installations classées comporte deux grandes missions : d’abord l’instruction des dossiers, puis l’inspection une fois que le site est autorisé. C’est à l’Etat de déterminer ce qu’il veut mettre comme moyens sur ce sujet. Si on ne peut pas augmenter les moyens, il faut au moins les concentrer sur ce qui est le plus dangereux. Donc les sites Seveso, mais aussi des entreprises présentant des risques environnementaux.
Une partie du travail a été simplifiée, oui, mais pas tout. L’éolien, ce sont encore des installations classées soumises à autorisation, donc il faut faire l’instruction, regarder l’étude d’impact, de danger, s’il y a une enquête publique… Ensuite, si les arrêtés préfectoraux sont attaqués, il y a ce que vous appelez la paperasse, il faut répondre au tribunal administratif, etc. Résultat, le dossier s’instruit en cinq à sept mois.
Vous sentez un ras-le-bol des inspecteurs ?
Oui, certains sont complètement débordés, il y a des burn-out… Notre grève de l’an dernier exprimait cette colère. Au-delà de l’accident de Lubrizol, sur lequel je ne peux pas me prononcer tant que nous n’en connaissons pas les causes exactes, nous voulons dire qu’il faut peut-être se poser des questions sur le cadre d’exercice de l’inspection. Il est très important que notre expertise puisse s’exprimer et qu’il y ait plus de transparence et d’indépendance, c’est une demande du public. La création d’une «autorité indépendante en charge des entreprises à risque» pourrait avoir du sens. Nous demandons que l’inspection des installations classées puisse communiquer avec plus de transparence et d’indépendance, comme l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Oui, c’est le préfet qui autorise et qui engage des sanctions administratives, qui communique en cas d’accident. A l’ASN, il y a une communication technique, en plus de celle du préfet. Cette autorité fait aussi un rapport annuel sur chaque installation nucléaire et a la possibilité de communiquer en dehors des situations de crise. Mais ce n’est pas l’unique sujet. Au sein des Dreal, il y a toute une hiérarchie qui n’est pas forcément habituée à ce type de risques. Il est important que les inspecteurs puissent conserver leur culture industrielle, leur compétence collective, qui permet de contrôler les sites. Celle-ci ne peut pas s’improviser du jour au lendemain, il y a des formations lourdes, du parrainage, etc. On ne peut pas tout rationaliser, ni tout banaliser.
Je ne sais pas. Une enquête sénatoriale a été lancée sur Lubrizol, nous demanderons à être auditionnés. Après, il faut que ce soit suivi politiquement. Il faut que le public puisse avoir confiance dans les sites industriels, car l’industrie est importante, pourvoyeuse d’emplois. Et la seule solution pour répondre au besoin d’information, d’indépendance et de transparence est une autorité administrative indépendante.