article paru dans le journal de l'environnement :
Le 26 juillet 2019 par Romain Loury
Salsigne, un site pollué pour longtemps
DR
Dans la vallée de l’Orbiel (Aude), frappée par de fortes inondations en octobre, le nombre d’enfants contaminés par l’arsenic ne cesse d’augmenter: près de deux enfants sur trois en présentent des taux anormalement élevés, selon les derniers résultats disponibles. En cause, l’héritage désastreux de la mine de Salsigne.
Fermé en 2004, le site minier de Salsigne, qui a été la plus importante mine d’or de France, est aussi l’un des plus pollués. Notamment à l’arsenic, qui abonde dans les 11,6 millions de tonnes de résidus miniers pollués. Si ces déchets ont été stockés sur plusieurs sites, ceux-ci connaissent d’importants problèmes d’étanchéité, nécessitant des travaux de réfection.
Outre une fuite continue d’arsenic dans les eaux, jusque dans la rivière Orbiel, la région a été la proie, entre les 14 et 15 octobre 2018, d’importantes inondations, à l’origine de 14 morts sur le département. Si la Dreal[i] Occitanie assure qu’elles n’ont pas eu de conséquence importante, les riverains craignent au contraire une surcontamination. Cette divergence de vue s’inscrit dans un litige au long cours, opposant la population à des autorités accusées d’avoir longtemps nié le risque, peu enclines à reconnaître leur responsabilité.
PREMIERS CAS RÉVÉLÉS EN JUIN
En juin, les cas de trois enfants présentant une forte contamination à l’arsenic étaient rendus publics. Scolarisés à Mas-Cabardès et Lastours, ces trois garçons, âgés de 4, 7 et 9 ans, présentaient des taux urinaires compris entre 12 et 20 microgrammes d’arsenic par gramme (µg/g) de créatinine. Bien au-delà de la valeur biologique d’interprétation de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), fixée à 9 µg/g, qui correspond au 95ème percentile en population générale[ii].
Suite à cette première alerte, l’agence régionale de santé (ARS) Occitanie s’est d’emblée voulue rassurante, appelant les parents concernés à refaire un test deux mois plus tard –et s’engageant à couvrir les frais, qui peuvent s’élever jusqu’à 80 euros le dosage.
Or le nombre de cas ne cesse de s’élever. Selon un bilan établi vendredi 26 juillet pour Lastours et Mas-Cabardès, 15 enfants sur 25 présentent un taux d’arsenic supérieur à 9 µg/g, 3 autres un taux égal à 9 µg/g. Chez trois enfants (deux âgés de 3 ans, un de 7 ans), il s’élève même à 36, 36 et 35 µg/g!
Sur ces 25 enfants, seuls deux n’ont pas l’âge d’être scolarisés. Quant aux 23 autres, ils fréquentent soit l’école de Lastours, pour ceux allant en maternelle ou en CP, soit celle de Mas-Cabardès, pour la classe d’âge allant du CE1 au CM2. A elles deux, ces écoles comptent un total de 40 élèves -17 d’entre eux n’ont donc pas encore été testés.
Egalement touchée par le phénomène, la commune de Conques-sur-Orbiel: selon un bilan récent, 13 enfants sur les 23 analysés présentent des valeurs urinaires supérieures ou égales à 9 µg/g de créatinine. Ce qui, sur l’ensemble des trois communes, porte le total à 31 enfants au-dessus du seuil de 9 µg/g sur les 48 analysés, soit près de deux enfants sur trois.
FORTE CONTAMINATION D’UNE COUR D’ÉCOLE
Si la source de la contamination n’est pas connue avec certitude, des analyses menées dans la cour de l’école de Lastours, submergée par les inondations, ont révélé une contamination allant jusqu’à 800 µg d’arsenic par gramme de sol. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a aussi procédé à des prélèvements, dont l’analyse donnera lieu, en fin d’année, à une analyse sanitaire de l’ARS.
Contacté par le JDLE, le maire de Lastours, Max Brail, indique avoir rapidement entrepris des travaux de décontamination dans la cour de l’école, en «décapant 25 centimètres de sol», puis en plaçant un goudron provisoire –qui sera ensuite remplacé par un enrobé lavable à jet haute pression, ajoute-t-il[iii].
Face à cette menace chimique, une pétition, signée par plus de 1.300 personnes vendredi 26 juillet, circule sur Internet, appelant «le président de la république ainsi que l’ensemble des représentants de l’Etat à faire valoir le principe de précaution en ouvrant une école provisoire hors zone potentiellement polluée dès le 2 décembre prochain».
LA VERSE DE NARTAU MISE EN CAUSE
La demande excède Max Brail[iv], qui souhaite «éradiquer la cause» en débarrassant la verse de Nartau de ses déchets. Située à 2 kilomètres en amont de l’école de Lastours, cette pente fortement inclinée surplombe le Grésillou, un ruisseau se déversant dans l’Orbiel. De nombreux riverains estiment qu’elle a été fortement déstabilisée lors des inondations, ce qui serait la cause de la contamination de l’école.
Contactée par le JDLE, une mère d’élèves de Lastours déplore par ailleurs le fait que les analyses du BRGM ne porteront que sur l’arsenic total, sans spéciation des différentes formes chimiques -ce qui aurait permis de déterminer s’il s’agissait d’un arsenic ‘naturel’ ou provenant de déchets miniers. Certes, l’analyse aurait été plus coûteuse, mais elle aurait «permis de savoir contre qui se retourner», regrette-t-elle.
Sans mâcher ses mots, Max Brail dénonce quant à lui «un mépris intolérable» de la part des autorités, ARS et BRGM compris. Après diverses sollicitations adressées au gouvernement, la sénatrice Gisèle Jourda (PS, Aude), qui alerte depuis plusieurs mois sur la situation environnementale et sanitaire de la vallée de l’Orbiel, n’a à ce jour toujours pas obtenu de réponse.
[i] Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement
[ii] Ce qui signifie que 95% de la population générale se situe en-dessous de 9 µg/g, et 5% au-dessus.
[iii] Avant la mise en place du goudron provisoire, le sol contaminé par l’arsenic avait été remplacé par des gravillons, qui étaient eux-mêmes très chargés en plomb.
[iv] Contactée par le JDLE, une mère d’élèves de Lastours précise que l’idée de déplacer l’école émane de parents de Conques-sur-Orbiel, et non de ceux de Lastours.