J'ai été ouvrier dans une usine de tri de déchets, voici ce qu'il s'y passe vraiment
Il y a un an et demi, après avoir enchaîné les déceptions et les échecs professionnels, je me retrouve là, à 6h du matin, tenue bleue de l'usine exigée et gilet jaune.
J'ai été ouvrier dans une usine de tri de déchets, voici ce qu'il s'y passe vraiment.
Il y a un an et demi, après avoir enchaîné les déceptions et les échecs professionnels, je me retrouve là, à 6h du matin, tenue bleue de l'usine exigée et gilet jaune. Je suis ouvrier dans uneusine de tri de déchets industriels et ménagers dans la zone industrielle déprimante d'une petite ville de province. Une usine qui marche bien et qui fait du chiffre. Un fleuron, un moteur de la région, en somme. J'étais pourtant à deux doigts de devenir journaliste...
Les temps modernes
Les temps changent mais pas tant que ça. Me voici dans un nouveau monde où il n'y a pas de temps à perdre. Après cinq minutes, me voilà déjà à la chaîne, dans une cabine, à devoir trier du bois (en réalité, distinguer le bois du "faux bois") qui passe à grande vitesse sur le tapis devant moi. Mes collègues m'expliquent rapidement comment procéder mais je me sens perdu.
S'en suit un apprentissage sur le terrain, avec les indications des collègues comme seule boussole. Le chef d'équipe ne joue pas le chaperon, à moi de me débrouiller et d'éviter les blessures. Pourtant, mon corps va souffrir pendant ces mois difficiles: sciatique, allergies, membres endoloris et écorchures multiples. L'usine et son travail de sape.
Vos micro-ondes, vos cafetières, vos ordinateurs, vos frigos, tout ce que vous avez balancé passe par là, entre mes mains, sur ce tapis qui ne s'arrête jamais. Il y traîne parfois quelques souris, voire des chats morts... entre autres.
Nous trions le plastique, la ferraille, les piles, les câbles, les cartouches d'encre, je pourrais continuer longtemps comme ça. La liste est presque infinie.
Lentement, tous les gestes deviennent habitude et l'impression de vivre dans un film se dissipe tout doucement.
Les quelques rendez-vous avec la conseillère d'insertion semblent être des sketches tant elle n'a rien à proposer réellement. Le passage du permis de conduire, passer d'autres permis pour devenir cariste...
Somme toute, tous les moments hors de la chaîne sont autant de plaisir de pouvoir enfin respirer quelques minutes.
Quoi qu'il en soit, les rêves semblent lointains.
Si ce n'est pas Germinal, on s'en rapproche par moment. De la crasse des doigts jusqu'aux épaules, le visage parsemé de tâches de je ne sais quoi. Les jours de froid, l'usine est un congélateur ( je suis très frileux ), les jours de chaleur il fait parfois jusqu'à 40°, les mouvements sont lents et deviennent une épreuve. Il n'est rien d'enviable dans tout ceci et il faut bien être obligé de travailler ici pour le faire. Ce n'est pas un destin.
Prendre des notes chaque jour en rentrant me permet de me projeter et de trouver un peu de sens à ce que je fais. Heureusement.
Vincent, François, Paul et les autres
Dans cette expérience éprouvante, les relations entre collègues prennent une place centrale au quotidien. Les complicités aident à tenir et à persévérer dans les moments de découragement. La galère rapproche, c'est évident.
Peu de conflits finalement, hormis dans les relations avec les différents chefs, et il y en a un paquet ! Mais l'un d'entre eux l'emporte haut la main: froid et cassant au possible, s'exprimant avec maladresse au mieux, avec dédain le plus souvent. Le genre de mec qui essaye, dès que possible, de te mettre dans des situations délicates. Une fois, on me fait changer de poste, je m'exécute sagement; celui-ci me voit travailler pendant deux, peut-être trois heures, avant de venir me dire que tout ce que je faisais était nul et non avenu. Peut-être était-il simplement maladroit...
Les manques de reconnaissance ou même d'encouragements m'ont souvent déçu, voire choqué. Malgré le "label" d'entreprise d'insertion, produire reste, d'après moi, le seul projet réel. Le turnover est incessant car les contrats durent quatre mois ( renouvelables potentiellement quatre fois ). Ceci explique peut-être cela.
Mes anciens collègues m'ont facilité la tâche pour l'écriture de ce livre en me donnant du grain à moudre chaque jour grâce à leurs anecdotes ou histoires personnelles tantôt drôles, tantôt déchirantes. Le panel de personnalités est très large ( contrairement à ce qu'on pourrait en penser de prime abord ); les parcours professionnels sont plutôt variés, de l'ancien commercial, au chef d'entreprise, du bûcheron à l'ancien animateur pour enfants.
Les discussions à la pause sont parfois lunaires, certains jours j'ai prié pour être ailleurs. Littéralement ailleurs.
Je garde quelques connexions avec certains de mes anciens collègues, encore aujourd'hui.
Le premier jour du reste de ta vie
C'est ainsi que j'ai vécu le premier jour post-usine. Libre. Tout redevenait possible. Une renaissance. Un souffle nouveau.
Finis les bruits, les bruits des véhicules, ceux de la ferraille qui tape sur encore plus de ferraille et qui résonnent dans la tête pour la journée entière. Fini d'ingurgiter des tonnes de poussière après le balayage du soir, en bas des cabines de tri. Fini le mal partout, le port des radiateurs, les chaussures de travail, les casques anti-bruits, les odeurs improbables, les levers à 4h35, les couchers à 22h. Tout ça est bien fini.
Et il fallait que j'en parle. Pour moi et aussi pour les autres, ceux qui y travaillent toujours et à qui personnene donne la parole, ceux qui se casseront le dos et la santé des mois, des années encore.
Je ne suis pas un porte-parole, mais un ancien acteur et spectateur d'une vie d'un autre âge mais toujours existante. Au mieux, un porte-voix.
François Haslé - Ordures - De presque journaliste à vraiment ouvrier -Autoédition