La Cour de La Haye va enquêter sur les crimes entraînant des ravages écologiques. Un signal, qui se veut dissuasif, adressé aux responsables d'accaparement des terres et de destruction des milieux naturels.
Juridique | | Laurent Radisson
Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a publié jeudi 15 septembre le document de politique générale de la juridiction pénale internationale relatif à la sélection et à la hiérarchisation des affaires qu'elle entend poursuivre.
Le Bureau du procureur sélectionne les affaires en se fondant sur trois critères : la gravité des crimes, le degré de responsabilité des auteurs présumés et les chefs d'accusation susceptibles d'être portés contre eux. Concernant ce premier critère, le Bureau se concentre sur "les crimes les plus graves dans le cadre d'une situation donnée, qui touchent l'ensemble de la communauté internationale", précise le document.
Crimes impliquant des ravages écologiques
L'impact des crimes peut s'apprécier à la lumière de la vulnérabilité accrue des victimes, de la terreur répandue parmi la population ou des ravages qu'ils causent sur le plan social, économique et écologique au sein des communautés concernées, indique le document. Dans ce contexte, est-il précisé, le Bureau "s'intéressera particulièrement aux crimes (…) impliquant ou entraînant, entre autres, des ravages écologiques, l'exploitation illicite de ressources naturelles ou l'expropriation illicite de terrains".
Cette annonce n'élargit pas le champ de compétence de la Cour. Le Statut de Rome, traité international adopté en 1998 qui régit cette juridiction, affirme la compétence de la Cour à l'égard des crimes de guerre. Parmi ceux-ci figure déjà "le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu'elle causera incidemment (…) des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l'ensemble de l'avantage militaire concret et direct attendu". Mais la Cour revendique aujourd'hui clairement sa compétence en la matière.
"Dirigeants d'entreprises et politiciens pénalement responsables"
Plusieurs ONG ont salué ce positionnement de la juridiction pénale universelle. L'annonce de La Haye est "une première étape cruciale dans la répression de la violence et du vol dans le commerce mondial des terres et des ressources naturelles", se félicite ainsi Global Witness. "Chasser les communautés de leurs terres et saccager l'environnement sont devenus un moyen accepté de faire des affaires dans de nombreux pays riches en ressources (…)", déplore en effet Gillian Caldwell, la directrice générale de l'ONG.
Selon ses données, plus de trois personnes par semaine ont été assassinées en 2015 pour défendre leurs terres contre le vol et les destructions. Parmi les activités les plus prédatrices figurent l'exploitation minière suivie de l'agro-business, des barrages hydroélectriques et de l'exploitation forestière. "Dirigeants d'entreprises, politiciens et autres individus peuvent maintenant être tenus pénalement responsables en vertu du droit international pour des crimes liés à la l'accaparement des terres et à la destruction de l'environnement", se réjouit l'association.
Le cabinet de conseil juridique Global Diligence estime que cette annonce ouvre la porte au procès intenté par des victimes d'accaparement des terres contre l'élite dirigeante cambodgienne. Ce cabinet avait déposé une communication auprès du procureur de la Cour en 2014 demandant une enquête sur les transferts forcés de population dans ce pays découlant de cette politique d'accaparement.
La création d'une cour spécialisée toujours d'actualité
La Cour de La Haye constitue la première juridiction pénale internationale permanente. Juridiction de dernier ressort, elle complète par conséquent les juridictions nationales. A ce jour, 139 Etats ont signé le Statut de Rome, et 124 d'entre eux l'ont ratifié. A vocation universelle, la CPI mène des enquêtes et juge les personnes accusées des crimes les plus graves touchant l'ensemble de la communauté internationale : génocides, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
La revendication de la compétence de la Cour sur ceux de ces crimes qui impliquent des ravages écologiques vise à adresser un message dissuasif aux potentiels justiciables. Mais la création d'uneCour pénale internationale de l'environnement, préconisée par de nombreux juristes internationaux, reste d'actualité pour juger des crimes environnementaux ne relevant pas de cette compétence : trafics d'espèces, pêche illicite, trafics de bois illégaux, trafics de déchets et produits toxiques, marées noires…
Laurent Radisson, journaliste
Rédacteur en Chef délégué aux marchés HS