Le 23 mars 2015 par Romain Loury
Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ, ou IARC selon l’acronyme anglais) a classé vendredi 20 mars l’herbicide glyphosate dans le groupe 2A, celui des cancérogènes «probables» pour l’homme. De quoi embarrasser l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui s’apprête à conclure à l’opposé.
Herbicide le plus utilisé au monde, le glyphosate, notamment connu sous le nom de RoundUp (Monsanto), cristallise l’attention des opposants aux pesticides -notamment en France, où s’est monté en 2006 un collectif «RoundUp non merci». Sa consommation mondiale a connu une forte hausse avec les OGM, dont certains consistent en l’ajout d’un gène de résistance à cet herbicide.
Considéré comme un perturbateur endocrinien, le glyphosate pourrait par ailleurs avoir des effets cancéreux. C’est ce à quoi vient de conclure le Circ, branche cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a annoncé vendredi son classement dans le groupe 2A, celui des cancérogènes«probables» pour l’homme.
Ce qui signifie qu’il existe des preuves «suffisantes» de son potentiel cancéreux pour l’animal de laboratoire, mais des preuves «limitées» chez l’homme: «une association positive a été observée entre l’exposition à cet agent et la survenue de cancers, mais d’autres explications, dont le hasard, ne peuvent être écartées», explique le Circ.
Un risque de lymphome non hodgkinien?
Dans la revue Lancet Oncology, le centre explique les raisons de ce classement: outre les études chez l’animal, «des études cas-contrôles menées dans le cadre d’une exposition professionnelle, aux Etats-Unis, au Canada et en Suède, ont rapporté un risque accru de lymphome non hodgkinien qui persistait après prise en compte d’autres pesticides. La cohorte AHS [1] n’a revanche pas révélé de risque accru de lymphome non hodgkinien».
Du côté de Monsanto, on est, sans surprise, en «désaccord» avec l’avis du Circ. «Tous les usages autorisés du glyphosate sont sûrs pour la santé humaine, et soutenus par l’une des bases de données les plus importantes jamais mises en place sur un produit d’usage agricole», se défend Philip Miller, vice-président monde des affaires réglementaires, dans un communiqué.
Selon Monsanto, le Circ a écarté «des douzaines d’études scientifiques (…) qui soutiennent la conclusion selon laquelle le glyphosate ne constitue pas un risque pour la santé humaine». A peine avertie de l’avis du Circ, la firme de Saint-Louis (Missouri) a demandé à rencontrer les experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Turbulences en vue pour L’Efsa
Contactée par le JDLE, l’Efsa préfère ne pas commenter les conclusions du Circ dans l’immédiat. La raison en est que l’autorité est elle-même en train de réévaluer le glyphosate, travail dont les conclusions sont attendues d’ici «l’été 2015». Or ce rebondissement risque de constituer pour l’Efsa une sérieuse épine dans le pied.
Cet avis sera basé sur celui émis par l’Allemagne, pays rapporteur (avec la Slovaquie) sur le dossier du glyphosate. Or ce rapport allemand, disponible sur demande à partir du site de l’Efsa, indique que les études disponibles ne permettent pas de conclure à un risque cancérigène pour l’homme, en particulier de lymphome non hodgkinien.
S’appuyant en grande partie sur l’AHS, l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) évoque également les études américaine, canadienne et suédoise grâce auxquelles le Circ a classé le glyphosate dans le groupe 2A. Certes, ces travaux suggèrent un risque accru de lymphome non hodgkinien, mais ces résultats sont jugés «peu convaincants» par l’agence allemande.
Si elle ne se prononce pas sur le fond du dossier, l’Efsa indique que la BfR prépare actuellement une mise à jour de son évaluation sur le glyphosate, à la lumière de l’avis du Circ. «Lorsque l’Allemagne aura finalisé sa mise à jour, l’Efsa publiera une version intermédiaire de ses conclusions, avec consultation des Etats membres pendant 2 semaines», explique l’autorité.
Une pétition pour le retrait du glyphosate
Alors que sa Semaine sans pesticides a débuté vendredi, l’association Générations futures, dont le glyphosate est l’un des chevaux de bataille, salue cette «victoire», et demande son retrait du marché, notamment des jardineries. Lancée samedi 21 mars, sa pétition recueillait près de 7.000 signatures lundi en milieu d’après-midi. Contacté par le JDLE, le ministère de l’agriculture n’était pas en mesure de commenter la décision du Circ dans l'immédiat.
Le glyphosate n’est pas la seule substance ciblée par le Circ, qui a aussi évalué quatre insecticides de la famille des organophosphorés. Le malathion et le diazinon intègrent aussi le groupe 2A, tandis que le parathion et tétrachlorvinphos, tous deux interdits dans l’Union européenne, font leur entrée dans le groupe 2B, celui des «cancérogènes possibles pour l’homme».
Aucun de ces insecticides n’est plus autorisé dans l’Union européenne. Fin novembre 2014, le malathion a toutefois été réutilisé en Guyane, de manière dérogatoire, afin d’empêcher la propagation du chikungunya, une mesure très controversée.
[1] Menée aux Etats-Unis, l’Agricultural Heath Study (AHS) constitue la plus grande cohorte d’agriculteurs au monde, dans l’objectif d’évaluer leur santé, en particulier suite à l’exposition aux pesticides.